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La trousse à outils de l’investissement boursier

Publié le 19 octobre 2007 par Argoul

La vulgate intello française considère la bourse comme un lieu d’orgies où des spéculateurs avides tentent de se remplir les poches en jouant à la roulette. C’est une vision étroite, ignare des choses. Un joyeux livre vient de régler son compte à cette conception médiévale de « l’économie de casino », tellement à la mode dans les milieux branchés (et en général protégés).

« Les outils de la stratégie boursière » (Eyrolles 2007) expose en 327 pages la réalité de ce qu’est un investissement en bourse. Ce n’est ni un casino ni la Caisse d’épargne, mais une démarche analogue à celle que chacun entreprend pour acheter une maison : savoir pourquoi ? Pour combien de temps ? Et avec quels moyens ? Le livre est écrit par un spécialiste, qui a passé plus de 25 ans à gérer des portefeuilles et des Sicav dans presque tous les domaines, y compris les plus pointus, à diriger des équipes de gérants. Alain Sueur, la maturité venue, y livre avec une certaine jubilation un bilan de métier. Car la bourse y apparaît comme un univers passionnant, qui sans cesse bouge et qui oblige à rester en contact avec le monde entier.

Les ignorants confondent l’investisseur en bourse avec le « golden boy ». Rien à voir ! Le matheux de 25 ans, dopé ado aux jeux vidéo et rivé tout le jour à son écran de « trading », n’a rien d’un investisseur. Il est plutôt un moderne robot des nouvelles usines que sont les salles de marché des grandes banques. Un prolétaire aliéné pour qui tout interlocuteur n’est qu’un « prix » affiché sur écran et dont le seul objectif est le « bonus » annuel qui dépassera de plusieurs fois son salaire déjà confortable. Quelqu’un qui, très prochainement, sera remplacé par une machine parce que son métier n’a rien d’humain. A l’inverse, les traits particuliers qui ont fait la fortune des grands investisseurs boursiers tels Warren Buffet ou Georges Soros « sont des comportements humains, pas des ratios financiers. Ils montrent bien que la valorisation d’une société ne se mesure pas seulement dans son bilan, et que ce ne sont pas les méthodes d’analystes financiers qui font la performance. » p.114 En effet, l’auteur excelle dans la démolition critique du « mathématisable » en économie. Science qui n’est qu’« humaine », l’économie peut s’aider d’outils de calculs et de probabilités – mais en aucun cas le modèle ne se substitue à la décision ! C’est « ce qui fait le charme du métier ».

Professionnels ou particuliers intéressés découvriront que l’investissement comprend les quatre dimensions fondamentales qui animent toute existence humaine, lorsqu’elle est captivante : l’enquête pour trouver l’information, l’intelligence pour la traiter, le savoir-faire technique pour l’utiliser, et enfin le jeu pour aimer cela. Tout le contraire de l’homme aliéné par son travail ! Le schéma de la page 17 est à cet égard éclairant. Le livre se déploie en deux parties : 1/ les outils, puis 2/ comment les utiliser comme les grands.

Parmi les outils proposés, cadrer la stratégie boursière sans croire ni les économistes, ni les techniciens, ni les rumeurs, ni les analystes ; suivre les économies avec les chiffres pertinents ; évaluer les marchés en tenant compte des cycles et de la psychologie ; choisir ses actifs en fonction du risque (actions, obligations, monétaire, or, matières premières, immobilier, devises, options) ; construire un portefeuille équilibré pour l’objectif fixé.

Mieux les utiliser en étudiant les profils des grands stratèges, Warren Buffet avec le business model, Soros avec la psychologie, Peter Lynch dans la mondialisation naissante, David Baverez avec les “idées” innovatrices ; dépasser les outils en resituant l’investissement dans la mondialisation, en tenant compte des modèles sociaux pour étudier chaque entreprise, découvrir l’importance récente de la géopolitique.

Pourfendre les idées reçues est l’un des objectifs du livre : pourquoi l’immobilier n’est pas un « placement sûr », pourquoi le dollar ne vas probablement pas s’écrouler malgré les déficits américains, pourquoi attendre de la Banque Centrale Européenne qu’elle agisse comme la Fed américaine alors que son statut n’a pas été voulu pareil, pourquoi analyser dans l’abstrait Michelin, Toyota ou McDonalds est inepte, chacune de ces entreprises reflétant le capitalisme particulier généré par la propre société dans laquelle elles sont immergées…

Alain Sueur est un tenant du long terme et de l’approche « valeur » - comme la plupart des professionnels - pas un spéculateur à la petite semaine. Mais il explique pourquoi les grandes banques sont en général allergiques à cette approche. Les grandes banques préfèrent par système gérer « la relation commerciale » avec leurs clients – pas leurs capitaux. Il vaut mieux, pour cela, aller voir un établissement spécialisé dans « la gestion de fortune ». Pourquoi ? Par effet de bureaucratie, là comme ailleurs. L’approche « valeur » (acheter pas cher une société délaissée et attendre qu’elle soit revalorisée) n’a pas les faveurs des hiérarchies, qui lui préfère le suivisme de l’approche « croissance » : faire comme tout le monde au même moment pour ne pas s’exposer aux reproches. La mode d’analystes « permet un suivi par processus organisé (ce qui ravit les hiérarchies qui ont l’impression de maîtriser) ; engendre du discours (qui justifie le travail des analystes, l’activisme des vendeurs et meuble le rapport de gestion) ; suscite des mouvements (pourvoyeurs de commissions et de courtages réguliers aux tables de négociation) ; rassure le client (parce qu’il voit des mouvements, il croit qu’on s’occupe bien de lui). » p.107

Jubilatoire, vous dis-je !


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