Sûr, quelque chose a dû foirer quelque part. Les bandes cassent les centre-villes, les banques ; mais là n'est pas le pire. Le pire, c'est cette difficulté que nous éprouvons à leur en vouloir. En face, les gangs de la finance sont devenus ministres, présidents, ils placent leurs hommes de paille, ils avancent leurs pions, font prospérer leurs affaires. Qu'importent les mains lourdes et immobiles de l'homme inemployé, à qui l'on demande de se résigner sagement à ce rien qu'est devenue sa vie. La vieille démocratie est violée de partout, entre les poubelles de nos avenirs en friches. Même la liberté ne fait plus recette. La liberté, elle a fait un pacte contre nature avec le cynisme et la cruauté. Elle est l'autre nom de l'avidité, ne laisse plus de place ni pour le spirituel ni pour l'antique fraternité. Des femmes mettent des fichus sur la tête et s'enferment dans les appartements. Le Dieu apocalyptique ressort des caves, il cligne des yeux, il n'en revient pas de ce rappel inattendu, à la toute fin d'une pièce qu'on disait un fiasco. Les livres n'en sont plus : juste un habillage maladroit des séries, des jeux vidéos, ces nouveaux oripaux. Une pensée nouvelle, oui : réactionnelle. Plus le temps de creuser notre pensée, moins encore de méditer. On n'habite plus soi. On est jeté dans un bain d'extériorité effervescente, on apprend par interaction les nouvelles règles du jeu, on s'adapte, on réagit instantanément. Quelque chose a dû foirer. Nous ne sommes pas là. Si nous y étions vraiment, rien de tout cela ne serait accepté.