David McBride est psychiatre et psychanalyste. Pas forcément brillant mais à l'écoute de ses patients. Et lui-même obsédé par la mort de son frère, jadis
écrasé par un camion pour lui sauver la vie. Il est amené à s'occuper d'Elizabeth Cruikshank, une femme au premier abord insignifiante qui a essayé de se suicider. Un climat très particulier va
s'instaurer entre ces deux personnes blessées et au cours d'une consultation de quelques sept heures, la patiente va se confier au médecin et lui permettre de nommer lui aussi, si ce n'est
chasser, le fantôme qui le hante.
Elizabeth a un jour brièvement rencontré Thomas. Minutes fulgurantes, sans sexe, mais qui vont l'accompagner
pendant les quinze années de son médiocre mariage. Puis ils se retrouvent à Rome, encore par hasard, et cette fois, l'union de ces deux être faits l'un pour l'autre a lieu. Mais s'il est libre de
toute attache, Elizabeth a un mari, des enfants, une vie de famille à laquelle elle sacrifie son amour par sens du devoir.
Avec Thomas, Elizabeth découvre l'art, en particulier Le Caravage et son tableau La Cène à Emmaüs. Après
la crucifixion, deux apôtres cheminent vers une auberge. Se joint alors à eux un inconnu qu'ils ne reconnaissent pas jusqu'à ce qu'il partage le pain avec eux. Ils comprennent alors que Jésus
sera désormais toujours avec eux, quoiqu'ils vivent et quoiqu'il advienne. Ils vont devoir accepter cette intangible présence, réconfort autant que souffrance. Grâce au cheminement artistique et
psychologique d'Elizabeth, David va lui aussi emprunter cette route d'Emmaüs pour apprendre à vivre avec la mort qui l'obsède.
Ce très beau livre mêle donc l'art et la psychanalyse, dans un long parcours assez lent qui permet au
lecteur de suivre l'évolution de McBride. Le personnage d'Elizabeth Cruikshank est particulièrement profond et émouvant. Le lecteur l'écoute gâcher sa vie, elle qui s'aime si peu qu'elle ne peut
pas croire à l'amour d'un autre. Comment en effet accepter d'être aimé si on s'en juge indigne ? Il faut s'aimer soi-même un peu, nous dit Salley Vickers pour reconnaître le véritable amour dans
les yeux de l'autre.
Si "vivre est en soi un mal incurable", le suicide n'est pas le seul remède à la maladie. Il y a l'Autre,
celui que l'on n'attend pas, celui qui écoute et qui voit. Chemin difficile que celui d'Emmaüs, plus terrible encore que celui de Damas car il y a au bout la solitude.
J'ai lu ce livre grâce aux billets de Cathulu et Cuné
La part obscure
4
Salley Vickers traduite de l'anglais par Catherine Ludet
Lattès, 2009
ISBN : 978-2-7096-2918-8 - 382 pages - 22 €
The Other Side of You, parution en Grande Bretagne : 2006