Ce texte est déjà paru sur le blog en mai 2008, mais je vous le propose à nouveau, suite au tag livres très personnel de la semaine dernière et à mon allusion aux Liaisons dangereuses, livre adoré et lu plusieurs fois (de même que le film). J'ai bien sûr écrit cette lettre en pensant très fort à l'oeuvre de Laclos.
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Ma chère amie,
Voici enfin une accalmie dans la maison, et je puis m'asseoir à mon secrétaire, et vous conter mes dernières aventures... Car j'en ai des choses à vous dire !
Mais je veux tout d'abord savoir comment vous allez, et si votre voyage s'est bien passé. Sans doute n'avez-vous pas eu le temps de beaucoup penser à moi pendant ces trois derniers mois... Je vous pardonne à à la condition que vous me racontiez tout... Nous nous sommes si peu vues à votre mariage, et je voudrais maintenant tant connaÎtre vos impressions sur votre nouvelle vie d'épouse... Quelle expérience cela doit être !
J'ai moi aussi fait de nombreuses expériences pendant votre absence, et je vais aujourd'hui vous livrer mon cœur. Mais il faut que vous me juriez de n'en rien dire à quiconque, et surtout de détruire cette lettre dès que vous l'aurez lue... Vous allez bientôt comprendre pourquoi.
Vous vous souvenez sans doute du charmant Baron de Montclair, qui nous fut présenté l'hiver dernier... et pour lequel nous eûmes toutes deux de tendres regards, au grand effroi de nos mères. Eh bien, figurez-vous que la semaine passée, alors que nous venions de nous installer à la Rivière pour les vacances d'automne, Madame de Montclair arriva sans prévenir et déclara sans ambages s'installer à la maison pour une huitaine. Mais là n'est point la grande nouvelle ; Madame de Montclair est une charmante vieille dame que nous aimons tous beaucoup, mais vous avez bien sûr deviné que son principal attrait à mes yeux est... d'être la marraine de ce cher Baron ! Et c'est accompagnée du beau Baron qu'elle fit son apparition chez nous !
J'étais ravie de cette arrivée inopinée, et plus encore quand, plus tard au salon, Madame de Montclair fit compliment à ma mère de ma charmante tenue, et s'étonna et enthousiasma également du changement de ma personne depuis sa dernière visite. Il est vrai que j'ai quelque peu grandi et minci, et que ma tournure n'est pas désagréable à regarder, je n'en suis d'ailleurs pas peu fière... Mais ma joie atteignit son comble lorsque je remarquai le regard que François posa sur moi, et la façon dont ses yeux semblèrent approuver les compliments que l'on me faisait, ainsi que soupeser la réalité de ces paroles. Je devins bien sûr aussitôt rouge pivoine, et dû trouver en urgence une excuse fallacieuse pour fuir la compagnie et surtout le regard attentif du joli Baron. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait, ni comment des yeux, fussent-ils ceux d'un jeune homme extrêmement plaisant, pussent avoir le pouvoir de me troubler à ce point...
Les trois premiers jours passèrent dans une ambiance fort chaleureuse et décontractée, si ce n'est que je sentis constamment sur moi le regard de François, dont j'avais l'impression qu'il transperçait mes vêtements et me dénudait complètement. Lui se délectait manifestement de cet examen minutieux. Je ne sais comment vous expliquer la force de ce regard, en même temps doux et caressant, amical parfois, mais aussi perçant et voyeur, ironique, et vraiment troublant...
Le quatrième jour, Madame de Montclair et ma mÈre s'absentèrent pour la journée, ayant quelques visites à faire dans les environs. Je restai donc seule à la maison avec François. Le temps ne permettant pas de faire une promenade, nous nous installâmes tous deux au salon, moi avec mon ouvrage qui n'avançait guère, et lui lisant. Le poids de son regard ne cessa d'augmenter tout au long du jour, et devint réellement insupportable au fil des heures. A la fin, n'en pouvant plus de son silence - car, oui, j'ai oublié de vous le dire, s'il me regardait, François ne daignait pas m'adresser la parole - je tentai de faire la conversation, et l'interrogeai sur sa vie parisienne (il vit à Paris depuis quelques mois). Il me répondit sur un ton badin et avec les yeux les plus narquois qui soient que Paris est une bien jolie ville, mais que son principal avantage est la possibilité offerte à un jeune homme d'y rencontrer plus de jolies femmes que partout ailleurs, et qui n'y sont pas effarouchées, voilà le terme exact qu'il utilisa ! Je ne sais pourquoi, alors que j'étais habituellement en face de lui intimidée, cette remarque me rendit folle de colère, et je relevai alors la tête pour le regarder effrontément, me sentant néanmoins malgré moi rougir comme un coquelicot. L'instant était terrible, il est difficile pour moi de décrire ces quelques minutes, peut-être même moins, qui me parurent durer des heures. Mon corset me serrait atrocement la poitrine, et de grosses gouttes de sueur glacée se mirent bientôt à dégouliner dans mon dos, mais je soutins son regard, et tentai même tant bien que mal de lui rendre un sourire ironique.
Puis n'y tenant plus, je me levai et voulu quitter la pièce afin d'échapper à l'état étrange dans lequel je me trouvais. J'étais sans aucun doute la plus ridicule et sotte jeune fille qu'il eut jamais rencontrée, et m'en voulais déjà de ma réaction vraiment infantile, quand il s'approcha de moi et m'attrapa promptement par les épaules avant que je n'aie le temps de m'enfuir. Je ne savais plus que faire, et étais terriblement gênée de me retrouver ainsi face à lui, si proche... tellement proche qu'il devait à coup sûr entendre mon cœur qui battait la chamade à tout rompre. Je tentai de me dégager, mais il me serra plus fort et m'embrassa ! Mon Dieu, quelle émotion !
J'étais vraiment immobilisée dans ses bras et ne pouvais me débattre. Je tentai pourtant de l'empêcher de continuer, mais n'y parvins pas. Il faut vous avouer, chère amie, que cette situation ne me déplaisait en fait qu'à moitié, et que, surprise au départ, je fus ensuite beaucoup moins fâchée contre lui. Il me lâcha cependant, et je m'enfuis bien vite dans ma chambre afin d'échapper non seulement à son étreinte, mais aussi au trouble qui m'avait envahi.
Le souper fut animé. Ma mère et Madame de Montclair nous contèrent avec force détails leur après-midi, et je fus ainsi dispensée de faire la conversation. Je me tins donc coite, et n'osai lever les yeux sur François, de peur que mon trouble ne se remarquât. Je prétextai ensuite la fatigue, et retournai au plus vite à ma chambre.
La maisonnée ne veilla pas tard, et bientôt chacun regagna ses appartements. Moi-même, je m'endormis bientôt, rêvant à mon aventure, quand je fus réveillée soudainement par un léger bruit dans ma chambre. Je sursautai, et tentai d'attraper une chandelle, mais avant que je ne parvinsse à l'allumer, quelqu'un se jeta sur moi et me retint sur le lit, tout en posant une main sur ma bouche pour m'empêcher d'appeler à l'aide. Je mis quelques secondes à réaliser que c'était François qui s'était introduit dans ma chambre. Je fus alors vraiment effrayée, et choquée de ce manque certain de bonne tenue - il est vraiment indécent qu'un homme entre en pleine nuit dans la chambre d'une jeune fille - mais ne pus bouger d'un pouce car le coquin s'était installé à califourchon sur moi, et me maintenait fermement.
Ma tendre amie, il faut vraiment me jurer de ne rien dire de ce qui va suivre. Vous êtes ma plus chère amie, et c'est pourquoi je vous raconte tout cela, mais je me permets une fois encore de vous rappeler que mon avenir dépend peut-être de la préservation de ce secret...
Je ne pouvais voir les yeux de François, mais sentais pourtant son regard sur moi. En tentant de me débattre, ma chemise se remonta, et il m'observa sans vergogne à la faible lueur de la lune, profitant de mon désarroi, et s'amusant décidément beaucoup. Il attrapa ensuite un foulard qui traÎnait et s'en servit comme bâillon, afin que je ne puisse appeler personne. Puis il m'attacha également les mains aux montants du lit. J'étais donc véritablement sa prisonnière, dans ma propre chambre, à demi-nue et sans défense ! Ma terreur allait grandissant, je ne comprenais pas son attitude, ni ce qu'il attendait de moi, et étais extrêmement choquée par son comportement plus que cavalier. Il dut le remarquer, car à ce moment, il devint plus calme, et se mit à me parler doucement. Il me dit qu'il ne fallait pas que j'aie peur de lui, et qu'il ne voulait pas me faire de mal, tout au contraire ; il voulait seulement passer un moment seul avec moi, et me montrer qu'il m'aimait... J'avoue que ces paroles me touchèrent plus qu'il ne se devait. J'étais partagée entre la crainte, et la honte d'être observée dans cette tenue peu correcte, et ressentais en même temps une joie sourde : il m'avait remarquée, je lui plaisais, même il disait qu'il m'aimait, moi, petite provinciale de 15 ans, alors qu'il rencontrait sûrement à Paris beaucoup de femmes plus charmantes !
Il commença alors à m'embrasser et me caresser de la tête aux pieds, et enfin, toutes ces choses dont je n'ose trop parler mais que vous devez connaÎtre puisque vous êtes maintenant mariée. Je tentai de me dégager, lui lançai en vain quelques coups de pieds, mais ne parvins qu'à le rendre plus acharné. J'étais alors vraiment outrée par son comportement, et apeurée mais, comment vous expliquer, j'ai moi-même bien du mal à comprendre ce qui m'est arrivé, et j'en rougis encore en l'évoquant, tout en me répugnant, le contact de ses mains et de ses lèvres sur ma peau répandait en moi une étrange langueur, une douce chaleur, et je ressentais aussi comme un vide dans mon corps, un manque indéfinissable, lancinant et terrible, plus fort que tous les sentiments jusqu'alors de moi connus...
Puis, alors que je tentai une fois encore de libérer mes liens et mon bâillon, j'eus une terrible frayeur. Il arrêta un instant de me toucher et enleva d'un coup sa chemise. Mon corps tout entier eut un sursaut, il était nu devant moi, et je dû fermer les yeux sous le choc. Vous allez sans doute vous moquer un peu de moi, et de ma candeur, mais jamais encore je n'avais vu d'homme nu, seulement de jeunes enfants, et je ne pouvais détacher mon regard de la chose étrange, toute droite et dressée qu'il avait au bas du ventre... J'avais bien auparavant quelque idée sur la question, mais mon imagination ne m'avait pourtant pas préparée à ce spectacle pour le moins terrifiant : jamais je n'aurais pu m'imaginer qu'un homme était ainsi fait. J'étais terrorisée et me demandais bien quelle serait l'issue de cette situation pour le moins inconcevable.
J'en étais là de mes interrogations lorsqu'il s'allongea sur moi. Il était chaud, très lourd, mais très doux en même temps, et curieusement, alors que je tremblais de tous mes membres, et le maudissait de son incorrection, ce contact ne me répugna pas. J'entendis sa respiration s'accélérer, comme je sentis mon corps à moi devenir brûlant, et comme fondre sous son poids. C'est alors que je ressentis une fulgurante douleur, comme une déchirure au-dedans de moi, une barrière forcée sans ménagement. Je fus irradiée en un éclair, et puis la douleur devint supportable, pour disparaÎtre bientôt et laisser place à une onde de chaleur dans tout mon corps, se répandant en moi comme une vague déferlante, une inexorable marée montante. Comment vous dire, je ne sais pas bien l'exprimer, cela était tellement étrange, je me sentais comme caressée par une vague, j'étais moi-même la vague, et aussi le sable sur lequel elle s'écrase, s'avance et se retire ; j'étais emportée par ce sac et ce ressac, par cette marée chaude, j'étais comme soulevée par un vent fort et doux, je volais. Je ne me débattais plus.
Cela prit fin au bout d'un temps que je ne puis déterminer, très long et très court à la fois. Il ôta mon bâillon, mais je n'appelais pas. J'étais soudain très calme, apaisée, et il ne me faisait plus peur. Il m'embrassa alors sur la bouche, puis défit les liens qui retenaient mes mains, et disparut aussitôt, comme un voleur, ainsi qu'il était venu, rapide et silencieux.
Je sombrai aussitôt dans un sommeil profond et sans rêves, et ne parvins à me lever que très difficilement le lendemain. J'étais dans un état second, terrifiée rétrospectivement par ce qui m'était arrivé ; je tentais de me remémorer ses moindres gestes, et d'analyser mes propres réactions, ce trouble étrange qui m'avait submergé, et n'y comprenais rien. J'aurais dû être horrifiée, scandalisée par cette intrusion dans mon intimité, mais ne pouvais me défendre cependant d'être heureuse, oui heureuse, et comme légère, malgré mon corps tout courbaturé. Je ne me sentais curieusement ni salie ni souillée, j'avais au contraire l'impression d'avoir vécu une sorte de seconde naissance...
Madame de Montclair nous quitta avec son filleul deux jours plus tard. Pendant ces deux jours, ne pouvant malgré tout affronter ni la compagnie, ni le regard du Baron, de peur de rougir exagérément et d'éveiller la curiosité ou les soupçons de ma mère, je prétextai un refroidissement et gardai la chambre, si bien que je ne revis François que lors de son départ. Son regard toujours aussi déshabillant ne me fit plus peur, me réchauffa plutôt, et c'est le cœur léger, et sans regret aucun, que je lui fis mes adieux.
Je sais néanmoins que j'ai fait quelque chose de terrible, je suis consciente du scandale que cela occasionnerait si jamais mes parents ou quiconque apprenait ma conduite, mais oserais-je vous l'avouer, je n'ai pas honte, aucunement, et même, puisqu'il me faut être entiÈrement sincère avec vous, je dois dire que, depuis, je ne pense qu'à une chose, c'est recommencer au plus vite ces jeux nocturnes avec mon beau Baron !
Voilà, ma bonne amie, vous savez maintenant tout de moi, et de mon aventure. Ne me jugez pas sur ces quelques lignes, je vous en conjure : j'avais besoin de me confier, de vous faire part de tout cela. Ecrivez-moi bien vite pour me dire votre sentiment sur toute cette affaire, et n'oubliez surtout pas de déchirer ma lettre... je n'ose penser ce qu'il adviendrait si quelqu'un la trouvait !
Dans l'attente de vos nouvelles, je vous embrasse affectueusement.