« L’intention de la musique est non seulement de plaire à l’ouïe, mais d’exprimer les sentiments, de frapper l’imagination, d’affecter l’Esprit et de commander les Passions » (Geminiani, 1751).
La formation baroque montalbanaise dirigée par Jean-Marc Andrieu, entame une cinquième saison toulousaine de quatre concerts à la chapelle Sainte-Anne, dans l’ancien quartier épiscopal de la cathédrale Saint-Etienne.
La qualité du travail de cet ensemble régional n’est plus à démontrer et l’authenticité de sa démarche s’impose dans une métropole régionale où les propositions musicales sont historiquement nombreuses. Loin des cercles officiels du Capitole ou du prestige des « Grands Interprètes », nous nous situons ici au cœur d’un travail artisanal, qui n’a d’autre prétention que de restituer des musiques dans l’esprit et le contexte de leur création. C’est la démarche musicologique et interprétative de Jean-Marc Andrieu, qui fréquente assidûment les bibliothèques, à la recherche constante de manuscrits à exhumer, interpréter et pourquoi pas éditer.
Avant concert pédagogique
C’est dans cet esprit d’atelier que les programmes des Passions se déroulent en deux temps : un avant concert pédagogique « Les pistes du baroque » à 18 h 30 où chef et orchestre présentent le programme en le situant dans son contexte historique et artistique. En bon professeur, Jean-Marc Andrieu rappelle les origines de la dynastie des Couperin (Louis, François, Charles, puis François le Grand) qui créaient et interprétaient de la musique particulièrement savante dans un petit village de la Brie, jusqu’à ce que Louis fut découvert et invité à venir toucher l’orgue de Saint-Gervais à Paris en 1651. Il devint « ordinaire de la Chambre du Roy », c’est-à-dire musicien permanent de l’unique orchestre officiel, ce qui correspond à un poste prestigieux et envié. Selon les goûts de la cour de Louis XIII et de la régence d’Anne d’Autriche et de Mazarin, qui introduisit la musique italienne, l’aristocratie de l’époque appréciait une musique extrêmement élaborée, qui comportait ces « flottements », lesquels donneront plus tard le vibrato.
Couperin déboutonné
Au concert, cela donne une musique de chambre originale, des plus raffinées s’articulant autour du clavecin tenu avec grand talent par Yasuko Bouvard. Il s’agit de pièces en trio originellement composées pour les violes, sans précision d’interprétation. Cette imprécision de notation a permis à Jean-Marc Andrieu d’élaborer une orchestration avec violons, basson et hautbois qui ajoute de la vie et de la liberté à une musique pouvant passer pour austère et aride.
Stylée et raffinée, cette musique de cour n’en connaît pas moins une rythmique efficace, appuyée par le théorbe de Ronaldo Correia de Lima Lopes, qui évoque même un certain swing. L’orchestration de Jean-Marc Andrieu permet une circulation des thèmes, qui assouplit ces œuvres et leur rend le côté divertissant et réjouissant pour lequel elles ont été composées. Cela s’entend particulièrement dans le 8e concert royal de François Couperin, qui convient on ne peut mieux à une salle de bal, même débridée, en s’éloignant de la chapelle. Après Lully, le service des plaisirs de la cour sait heureusement se démarquer de la dévotion des messes pour les couvents et les paroisses, ainsi que des « Leçons de ténèbres » des carêmes chics de la bonne société, aussi géniaux fussent-ils.
La rigidité de l’étiquette louis quatorzienne, nous fait oublier que l’on pratiquait à Versailles une musique plus enjouée, aimable et vivante qu’empesée dans les rigueurs du protocole. N’oublions pas que dans sa jeunesse, le roi avait été un grand danseur et qu’il affectionnait la guitare baroque, qu’il jouait volontiers. L’interprétation des Passions restitue ce caractère à la fois intime et jubilatoire d’une musique composée justement pour le plaisir. Celui des musiciens est réel et il augmente d’autant plus celui des auditeurs.