Une œuvre légendaire
Le musicien montalbanais ne craint pas de s’attaquer à forte partie, puisque la référence discographique de cette œuvre emblématique du baroque français était tenue jusqu’à présent par le bel enregistrement de Philippe Herreweghe avec La Chapelle Royale (Harmonia Mundi, 1990).
Outres ses qualités musicales intrinsèques, qui lui ont valu d’être joué tout au long du XVIIIe siècle, ce Requiem bénéficie d’une véritable légende quant aux circonstances de sa composition. Maître de chapelle à la cathédrale St-Etienne de Toulouse, Gilles se voit commander une messe de requiem par les fils de deux conseillers au parlement de la ville rose. La partition achevée au bout de 6 mois, le musicien organise une répétition générale avec tous les musiciens de la ville, invitant les meilleurs maîtres de musique du moment, dont André Campra. L’ouvrage fit forte impression et reçut les louanges du public présent, mais les jeunes commanditaires, vite remis de leur chagrin, se dédirent de leur commande. Vexé, Gilles décida que cette messe ne serait exécutée que pour ses propres obsèques. Cela ne tarda guère, puisque le musicien disparut à l’âge de 36 ans en 1705 et la première audition lui fut en effet dédiée d’après le manuscrit retrouvé dans ses papiers. Le succès fut immense et tout au long du XVIIIe siècle, l’Europe musicale considéra le Requiem de Gilles comme un modèle de perfection. Cette messe devint quasi officielle, interprétée pour les funérailles de Rameau en 1764, mais aussi celles du roi de Pologne Stanislas Leczinski, ainsi que celles de Louis XV.
Avec un serpent
Le succès de l’œuvre provoqua de nombreuses copies plus ou moins fidèles, avec d’inévitables ajouts ou modifications selon les goûts et la mode de l’époque. C’est ainsi que Michel Corrette ajouta une partie de timbales et un carillon en 1764. En l’absence de partition autographe c’est cette version qui sera éditée en 1956, avec ajout de hautbois, cors et trompettes, et fera autorité jusque dans les années 1980.
Dans un souci d’interpréter une musique la plus fidèle à l’esprit du compositeur, Jean-Marc Andrieu s’est basé sur trois manuscrits différents, dont un toulousain de 1731. Il s’est attaché à restituer des effectifs vocaux et instrumentaux conformes à ce qui se pratiquait à Toulouse à la fin du XVIIe siècle, ajoutant toutefois un serpent, adoptant un diapason à 392 Hz et le tempérament proposé par le physicien Joseph Sauveur, contemporain de Gilles. Les tempi se rapprochent des caractères de la danse propre à l’expressivité de la musique française, avec une grande sobriété dans l’ornementation.
C’est donc en toute logique que Jean-Marc Andrieu a supprimé la marche funèbre aux timbales, qui introduit habituellement l’œuvre.
Le résultat en est enthousiasmant. Avec son orchestre Les Passions, le chœur Les Éléments, toujours très analytique, et des solistes soulignant une vision apaisante et sereine de la mort, Jean-Marc Andrieu donne une version d’une grande clarté de cette œuvre revenue à la mode dans les dernières décennies. La prononciation du latin « à la française » rend le texte particulièrement compréhensible. Aussi précise que son travail de recherche musicologique, la direction est à la fois fouillée et articulée. Cette interprétation « dégraissée » devrait devenir la nouvelle référence de l’œuvre.
Le motet à saint Jean Baptiste « Cantate Jordanis Incolæ », dans le style versaillais, interprété de façon joyeuse, complète ce beau disque.
Les Passions ont donné ce programme à plusieurs reprises avant de l’enregistrer, notamment au festival de La Chaise-Dieu où il fut accueilli triomphalement, au point de recevoir le titre envié de « Révélation 2008 » du 42e festival de La Chaise-Dieu, partagé avec les Tchèques du Collegium 1704 & Collegium Vocale 1704 pour leur superbe « Missa Votiva » de Zelenka. La sérénité de la musique de Gilles offre un intéressant contrepoint à la fameuse danse macabre de la basilique du Velay.
Alain Huc de Vaubert