« Le centre ville ? Mais c’est ici, désormais ! », s’exclamait mon ancien prof d’histoire-géo, rencontré dans la galerie marchande du SuperVoyelle à Parthenay (Deux-Sèvres). C’est vrai qu’il n’y a plus que là qu’on peut croiser des gens à qui causer entre deux emplettes. Parthenay (11000 habitants) peut s’enorgueillir de compter désormais deux centre-villes avec le pôle commercial autour de chez Passombre à l’est. Les rues de son centre traditionnel (Jean-Jaurès et Louis-Aguillon) se sont comme vidées de la substance commerciale qui attirait naguère le chaland, à part la portion entre la rue de la Poste et le Palais des Congrès et quelques irréductibles ça et là.
Un jour, en fin d’après-midi, j’ai croisé un ancien conseiller municipal de la grande époque, place des Bancs. Dans notre lent cheminement l’un vers l’autre, il y avait quelque chose du duel de cow-boys dans un western spaghetti, quand tout le monde se planque en attendant l’explication. On a juste défouraillé d’une chaleureuse poignée de mains avant de pleurer dans les bras l’un de l’autre : on avait l’impression d’être les deux seuls survivants d’une ville morte. « La piétonisation, j’étais pour et ça marchait pourtant bien au début… », sanglotait Claude. On a déploré ensemble les commerces recyclés sous l’aile protectrice de la grande distribution, les disparus corps et biens, les papys qui font de la résistance dans leurs boutiques de plus en plus isolées parmi les anciens magasins reconvertis en logements…
A Niort (préfecture des Deux-Sèvres), la piétonisation et le nouveau plan de circulation ont déchaîné les passions entre les virulents de droite et les commerçants inquiets d’un côté, la municipalité avec ses bobos et écolos intégristes de l’autre. C’est peu dire que le débat fait rage, et les gazettes locales en font leurs choux gras. Les deux camps ont battu le rappel des troupes pour être les premiers à occuper les bancs réservés au public ce soir au conseil municipal. Ils sont chauds comme des braises des deux côtés et ça a déjà failli faire vilain. Les uns se targuent évidemment de la légitimité des urnes pour dérouler leur programme comme un beau plan quinquennal. Les autres reprochent à la municipalité Gaillard de rester sourde à leurs suppliques, l’accusant même de vouloir tuer le centre ville alors que les élus veulent le faire vivre mieux (moins de voitures, plus de verdure, des animations, etc…). Du grand classique.
Oui, du grand classique car en réalité nous sommes en présence d’une tendance lourde qui voit une crise de croissance secouer chaque ville moyenne à un moment ou l’autre de son histoire. Or, le développement d’une telle ville s’effectue à la manière de la croissance de la pomme de terre. A partir de l’implantation initiale se développent d’autres tubercules, le processus étant achevé quand le plant de la patate première est vidé de sa substance. Il en va de même du centre ville traditionnel : un peu partout, il est voué à son naturel dépérissement selon la loi qui veut qu’il faut qu’ils croissent et qu’il (le centre ville) diminue…
Les plus futés parmi les tauliers du centre ville niortais avaient d’ailleurs anticipé bien avant les dernières élections qui n’ont fait qu’accélérer le processus. Ils ont essaimé vers les pommes de terre nouvelles de la périphérie niortaise. Il n’y a qu’à voir le nombre de bouclards qui se sont ouverts depuis deux ou trois ans sur la zone Mendès-France et qui poussent comme champignons sur la nouvelle zone de la Milude, à la sortie sud de Niort… C’est symptomatique. L’implantation, pourtant souterraine, du Mégacinéma sous la place de la Brèche me semble rétrospectivement un archaïsme…
Demain, vers 2050, Niort devrait ainsi compter trois ou quatre centres périphériques (comment les nommer autrement que par ce délicat oxymore ?) chacun voyant la prospérité du petit commerce assurée par la symbiose avec au moins un grand distributeur : Grand Passombre et PasPetit au nord, Mousquetaire à l’est, HyperVoyelle ou quelque autre grande enseigne au sud… En tant qu’usager attaché à la flânerie en ville, je m’obstinais à fréquenter le cœur dit historique de nos villes moyennes. Maintenant, je ne rechigne plus à m’aventurer dans les centres périphériques : on s’y gare facilement et gratuitement (à Niort centre comme ailleurs, il faut payer de plus en plus cher et les poulets municipaux sont de moins en moins accommodants, voyez le binôme Laurel et Hardy notamment…). On y circule sans bouchon. On y trouve de tout. Tous les magasins sont spacieux et flambants neufs. Ils ont même planté des arbres et gazonné autour de leurs grandes baraques colorées.
Pour casser la croûte, on a l’embarras du choix entre chez Couique, Maquedeau ou Ritalleau et j’allais oublier Fastniacouet. Et c’est pas si mauvais après tout. Pour la fringue, je retrouve ma boutique fétiche qui créchait naguère près du Pilori. Les bouquins, je les commande sur le Net. Les journaux, je les lis itou sur le Net et si je veux vraiment une édition papier, on en trouve aussi dans les centres périphériques. En mon fors intérieur, je me sens désormais dépouillé du vieil homme, le vieil homo citadinus que je m’obstinais à conserver en son être. A la fin, je suis las de ce centre ancien de Niort… Je me sens désormais en phase avec mon temps, métamorphosé en homme neuf révélé à sa modernité par l’excellence de son nouveau biotope : le centre périphérique. Le vieux centre ville est caduc et l’avenir est à la périphérie. A Niort, nous sommes certes loin de Saint-Paul mais nous vivons une époque formidable !