Roukane El GHISSASSI - Rabat - Les oeuvres des peintres orientalistes font partie du patrimoine marocain, étant donné que le Maroc était le sujet privilégié de leurs toiles, a affirmé sans ambages le professeur universitaire et critique d'art, Aziz Daki, mercredi soir, à la Villa des Arts de Rabat.
Lors d'un séminaire formulé sous la forme interrogative "les premiers peintres orientalistes font-ils partie du patrimoine marocain ?", initié par la fondation ONA dans le cadre d'un cycle de conférence sur l'histoire de la peinture marocaine, Daki a fait savoir que s'il a choisi ce cycle de rencontres par une question liée aux orientalistes, c'est pour montrer que ces peintres sont incorporés à cette histoire.
D'abord, précise-t-il, par leur attachement à un territoire et à une culture qu'ils ont donné à voir et à montrer dans leurs toiles et qu'ils aient peint leur vécu dans le pays. Ensuite, ajoute-t-il, leurs toiles sont imprégnées du territoire où elles ont été crées.
Le professeur a rappelé que le premier père de chevalet marocain est Juan de Pareja, un esclave espagnol d'origine maure qui était l'assistant d'un des plus grands peintres du siècle d'or d'Espagne, Diego Velazquez, qu'il va aider pour la préparation des couleurs et des toiles.
"de Pareja commencera ainsi à peindre dans le secret - en vertu d'une loi qui interdisait aux esclaves de peindre - et à l'ombre d'un peintre occidental et pas n'importe lequel Velazquez", ce peintre devenu célèbre avec la réalisation de son principal chef-d'Âœuvre "Les Ménines", souligne-t-il.
Daki a montré un tableau de Pareja exécuté par Velasquez dont il a dit qu'il constitue "une des plus belles pièces maîtresse du Metropolitan Museum of art de New York".
Il enchaîne sur un autre peintre orientaliste Eugène Delacroix, l'un des premiers artistes à aller peindre l'Orient dont il présente certains tableaux "la sortie du sultan" qui se trouve au Musée du Louvre à Paris, "les noces juives" et "les femmes d'Alger".
L'admiration de ce peintre pour le Maroc a été contagieuse. Plusieurs peintres marcheront sur ses pas et certains sont allés jusqu'à affirmer qu'ils ont trouvé les paysages au Maroc comme ils ont été peints par Delacroix dans ses toiles, a renchéri Daki.
Ces peintres aspiraient à découvrir cette source d'émerveillement de Delacroix, le Maroc ! "L'aspect de cette contrée restera toujours dans mes yeux : Les hommes et les femmes de cette force race s'agiteront tant que je vivrai, dans ma mémoire, c'est en eux que j'ai vraiment retrouvé la beauté antique", écrivait Delacroix.
Daki passe en revue un autre peintre qui peignait sur modèle des femmes arabes, José Cruz Herrera (1890-1972) qui arrive au Maroc en 1920 et s'installe à Casablanca en 1923.
Il cite, en outre, Henry Pontoy qui a vécu au Maroc de 1927 à 1965. Emerveillé par la ville de Fès, ce peintre tient un atelier attenant à la mosquée Bou Jelloud et enseigne pendant 14 le dessin au collège My Idriss.
Evoquant la naissance de l'orientalisme, le professeur Daki a expliqué qu'il va s'épanouir avec la colonisation, en 1912, lorsque notamment le Maréchal Lyautey va encourager l'installation auprès de lui de peintres comme Jacques Majorelle qui arrive au Maroc en 1917 et habite deux plus tard Marrakech où il acquiert un terrain qui allait devenir le jardin Majorelle.
Subjugué par la beauté des paysages, les couleurs et la majesté des costumes, Majorelle restera au Maroc jusqu'à ce que la mort l'emporte en 1962.
Revenant sur la collaboration des orientalistes avec les forces coloniales, Daki a indiqué que lorsqu'on affirme que "l'orientalisme fait partie de l'histoire de la peinture au Maroc" cela "ne signifie pas s'aveugler sur les facilités dont ont bénéficié certains peintres orientalistes de la part des autorités coloniales et encore moins laisser supposer que la peinture au Maroc commence avec les occidentaux".
En même temps, il a estimé "aberrant de condamner en bloc tous les orientalistes". Certains d'entre eux ont consacré la part la plus significative de leur art au Maroc", martèle-t-il.
Le critique d'art Daki faisait allusion notamment à la première génération de peintres marocains qui qualifiaient les orientalistes de "faiseurs de cartes postales", d'"apologistes d'un Maroc folklorique" et d'"artistes colonialistes".
Pour éviter toute équivoque, Daki n'est pas dupe et est conscient des "complicités entretenues entre le colonialisme et les peintres orientalistes" sur lesquelles il insiste.
Il a, en outre, fait savoir qu'il ne lui revenait, pas lors de ce séminaire, de "pointer du doigt la face la moins lumineuse de l'orientalisme, son arrogance vis-à-vis de la population indigène, l'immobilisme où l'on veut maintenir cette autorité exercée sur l'autre pour le conformer à l'image que l'on se fait de lui".
A cet égard, il n'a pas omis de se référer à l'écrivain palestinien feu Edward Saïd qui a consacré un livre majeur à la question, "L'Orientalisme, L'Orient crée par l'Occident".
Le critique d'art juge nécessaire de distinguer "l'histoire coloniale" du "butin culturel et artistique qui est resté entre les mains des anciennes colonies".
Roukane El GHISSASSI - MAP