Je viens de jeter une oreille sur le dernier album de Yann Tiersen. On reconnait très vite sa patte, cette douceur mélodique qui confine à la mélancolie, ces tableaux sonores qui font si « vieille France » et embaument le monde plus simple d’avant la mondialisation. Sauf que j’ai tout faux. En fait, je venais d’entendre le nouvel album de Miossec, comme me le confirmait d’ailleurs le timbre rauque et sec du chanteur, cette voix brut de décoffrage qui est la carte de visite première du brestois. Dont je ne suis pas un grand fan à la base, cela soit dit en passant. Les comptines désespérées et désabusées sur fond de bières frelatées, chialer sur le zinc pour oublier l’averse qui fait rage, et le cagnard qui vous saisit sur le chemin du retour au bercail c’est tout un univers dont je me suis souvent tenu à l’écart. Mais là c’est différent, en guise de bière ce sera un bon panaché, sirupeux mais pas forcément moins alcoolisé. Le premier verre passe d’ailleurs comme une lettre à la poste. J’aime beaucoup ce « Seul ce que j’ai perdu », qui associe l’amertume et le retour à la lumière, où comment commencer un disque avec un joli arc en ciel d’emblée. Mais dès « Les joggers du dimanche », je nourris quelques doutes : que se cache t’il vraiment derrière l’exercice habile de dialectique, sont-ce de véritables sentiments écorchés vifs ou une jolie gravure plutôt poseuse, à la Amélie Poulain. Accusé Tiersen, répondez. Ou pas, ce ne sera pas forcément nécessaire.
Alors après, quand même, les deux ensemble, ça donne aussi
de forts belles petites choses, des miniatures saisissantes et qui fichent le bourdon, agréablement. Comme par exemple ces « Chiens de paille » qui viennent justement nous rappeler
l’air social vicié du moment, et qui sont vite prolongés sur « CDD », à suivre. « Jésus au Pmu » est aussi assez habile, inoffensif certes, mais drôle et bien écrit, on
pardonne et on adhère. Et puis aussi « Une fortune de mer » où toute la force de Miossec réside dans l’acceptation de ne pas toujours l’avoir, cette force. Inversement, le remplissage,
le vide conceptuel, guettent sur des titres comme « Hais moi », « Nos plus belles années » ou encore le « Loin de la foule » où Tiersen tire les larmes comme le Sdf
vous tire quelques centimes d’euros à la sortie du Monoprix de quartier, avec son chien galeux et boiteux qui lui lèche les moignons purulents : subtil moi ? Jamais. En bref, nous avons
là un album doublement bifront : né de deux pères putatifs différents qui laissent chacun une trace nette et leur empreinte, et tiraillé par deux courants divers, entre réussite formelle et
textuelle, et sentiments bon marché maintes fois recyclés. Pas mauvais du tout, mais parfois trop lisse pour être (mal)honnête. (6,5/10)