Steve Coleman était en concert le 19 septembre dernier à 22 h 30 à la Cité de la Musique et de la Danse pour Musica avec ses derniers Five Elements, dont le trompettiste Jonathan Fimlayson (membre depuis le Live « Resistance Is Futile » à la Jam de Montpelier), la chanteuse Jen Shyu (présente depuis « Lucidarium, », et sur « Weaving Symbolics »), le tromboniste Tim Albright (de « Weaving Symbolics ») et le batteur Dafnis Prieto (« Lucidarium »), et leur nouveau guitariste Miles Okazaki.
Steve Coleman - First Cause
Steve Coleman est le saxophoniste afro-américain qui montre la voie : après des débuts dans des Big Bands comme celui de Mel Lewis, il crée l' M Base (Macro-Basic Array of Structured Improvisation) puis les Five Elements, à leurs débuts très Funk et Hip-Hop, puis s'est intéressé aux origines du Jazz dans la musique afro-cubaine et la numérologie sacrée Egyptienne , expérimentant des constructions rythmique et mélodiques complexes et inouïes, sans se déprendre d'une intensité urbaine, a pris une année sabbatique entre 1999 et 2000 pour voyager, construire une maison à Bali et étudier les spiritualités du monde et est revenu depuis plus fort encore.
Les micros sont disposés en arc de cercle d'amphithéâtre choral pour cette musique spirituelle aux voix polyphoniques, terminé par la batterie, ou arrivent, de gauche à droite, Jen Shyu, Steve Coleman, Jonathan Finlayson, Tim Albright, le nouveau guitariste Miles Okazaki.et Dafnis Prieto à la batterie.
Jen Shyu (chanteuse sino-américaine aux parents originaires du Timour Oriental) a évolué dans le groupe depuis son arrivée dans les secondes voix de « Lucidarium », s'est libérée musicalement en scat dans « Weaving Symbolics » et maintenant chante des mots et improvise des vocaleses. C'est émouvant de la voir évoluer ainsi, déployer ses ailes de concert en concert (encore un peu raide et en en retrait la dernière fois à Schiltigheim) et de disque en disque. Elle a même chanté une de ses compositions.
...tout cela est très harmonieux et va très bien ensemble grâce à leurs talents d'improvisation et leur écoute mutuelle...
La batterie drum'n'bass de Dafnis Prieto soutient les riffs de Coleman, Finlayson très aigu à la manière des trompettes d'Aïda de Verdi et le trombone de Tim Abright à l'unisson dans les basses et Jen Shyu scatte librement une quatrième voix de l'un à l'autre.
Steve Coleman reprend par une intro soufflée en beatbox (« Fam Fit To Fit ») de son dernier album solo « The Invisible Paths » pour Tzadik, suivi de Jen Shyu en des aigus à la Björk sur les percussions . Chacun semble jouer quelque chose de différent dans cette harmolodie (technique créée par l'homonyme aîné de Steve , Ornette Coleman, mais à qui Steve Coleman a su donner un sens spirituel et urbain) mais où les autres par moments s'immiscent avec talent, se rejoignent par vagues en convergences inouïes qu'il appelle « flex » et remplacent chez lui l'alternance thème / solo du Jazz. Et pourtant tout cela est très harmonieux et va très bien ensemble grâce à leurs talents d'improvisation et leur écoute mutuelle.
Steve Coleman a écrit quelque part que sa musique cherchait à aider l'auditeur à trouver spirituellement le chemin de son âme, mais il avoue aussi que, selon l'élévation spirituelle ou son besoin à un moment, on peut en apprécier les solos improvisés, ou danser dessus comme sur du Funk, écouter les paroles comme du hip hop. Le saxophone et le trombone se retrouvent sur un duo.
On retrouva « Kabalah » de « Lucidarium », le meilleur disque récent de Steve Coleman pour la fusion entre la spiritualité asiatique vocale de Jen Shyu et le rappeur Kokayi de son groupe de Hip Hop The Metrics et d'Opus Akoben et « Gregorian » de « Weaving Symbolics »
Mais Steve Coleman a aussi une grande culture de Jazz, bop et autres, et cite « Bitches Brew » de Miles dans ses solos, tandis que Jen Shyu décompose les syllabes, les mots, en lettres, en sons, en musiques, en poésie sonore lettriste, comme utilisant le khyal indien à la manière de Nusrat Fateh Ali Khan, part en transe syllabique.
(...) Il lui arrive même d'enregistrer le disque PENDANT un concert et de le distribuer gratuitement à la sortie au public, qu'il estime y avoir participé ! (...)
Dafnis Prieto marque la clavé, puis Steve Coleman reprend la main par la rythmique, rallume le feu de l'impro libre chez ses solistes, la jam en live des « flex » joués plus sur les réflexes que sur la pensée maîtrisée. Il aime à introduire de « méditations » spirituelles ses « flexs » plus improvisés collectivement. C'est la forme de concert qu'il préfère, libre et décontractée, qu'il appelle « Grass Roots », laissant pousser naturellement la musique des racines de la terre à l'air de l'herbe, au hasard, comme sur le Live à La Jam Montpelier « Resistance Is Futile » avec déjà Jonathan Finlaysaon..
Avec le temps, Jen Shyu est devenue une voix soliste au même titre que les autres instruments, et maintenant c'est le guitariste, dernier arrivé, qui est un peu à la traîne. Cette initiation spirituelle et didactique en Live donne l'énergie et le renouvèlement à l'orchestre de Steve Coleman, une structure changeante par roulement qui le préserve de l'ennui. En effet, le marché du disque est trop lent, trop lourd pour lui, les disques juste des jalons posés pour marquer les étapes, mais dépassés sitôt enregistrés, et qu'il se lasse vite de rejouer tels quels sur scène, préférant les impros libres, les inédits, la création en direct. Il lui arrive même d'enregistrer le disque PENDANT un concert et de le distribuer gratuitement à la sortie au public, qu'il estime y avoir participé !
Une autre influence dans les tempos rapides de Steve Coleman est le mantra Bouddhiste rapide (Steve Coleman est bouddhiste) qu'il scatte sur les différents rythmes de la cowbell de Prieto, ou mêle dans ses vocaux litanie bouddhistes et mélodies Bop de Thélonious Monk, comme ici « Straight No Chaser », comme à Montpelier, Dizzy Gillespie?.
Un autre solo du saxophoniste montrera sa culture des standards, passant par « Lush Life », puis par « The Way You Look Tonight », joué plus dans l'esprit que dans la lettre. Quand il essaie un nouveau saxophone, c'est toujours sur du Charlie Parker dont son père était un fan. En d'autres temps, il eût été un saxophoniste lesterien, parkerien, et l'est parfois, entre autres choses.
Pour le bis final, après avoir présenté les musiciens comme dans « Resistance Is Futile » en entrecoupant ces mots d'improvisations libres, tous scattèrent en litanie Bouddhiste-Hip-Hop, échangeant les instruments pour les voix.
Trop complexe et beau pour être décrit par le menu, ce concert qui se prolongea jusqu'à près d'une heure du matin, prouva le talent individuel et collectif de Steve Coleman et ses Five Elements.