La fin du monde tombe un jeudi

Par Chatperlipopette


Nous sommes dans un futur qui pourrait être plus proche de nous que nous ne le pensons: une société où le jeu a remplacé les religions, les idées, où les ministères du Hasard et de l'Energie mènent la danse, où les ghettos sont le lieu de toutes les chutes, où la corpulence au-delà de la norme entraîne solitude, résultas scolaires pas terribles, où tout peut être propice à l'exclusion, au renvoi et à la déchéance...et surtout une société dans laquelle les hommes se font "empucés" dès l'âge de 13 ans, procédé par lequel plus rien ne peut être gardé secret! Un monde où la capacité à gagner aux jeux de hasard permet l'ascension sociale, ouvre les portes à la gloire et à la notoriété mais aussi aux pires dépressions nerveuses, maladies que le ministère du Bien-Etre balaye d'un coup de séjour dans une structure adaptée...une espèce de camp de rétention.
C'est dans ce monde merveilleux où la baisse de moral n'existe pas, où le bonheur est scandé à chaque seconde, que vit notre jeune héros, Thomas Drimm, rejeton préobèse d'une famille déchue: son père, ancien membre du comité de censure, est devenu alcoolique (pour oublier la négation de la culture d'autrefois, pour oublier que la nouvelle société a fait table rase de tout et a coupé l'Humanité de son âme, que la médiocrité absolue est devenue la norme) et minable prof de lettres dans un collège aussi minable où un enseignement minable est dispensé à des ados minables qui végètent en attendant d'entrer dans leur vie de minables; tandis que sa mère est psychologue dans un casino, chargée d'accompagner les gagnants du jackpot, éternelle insatisfaite, ne pardonnant pas à son époux leur déchéance...mais comme, à partir du moment où un couple a un enfant il ne peut divorcer, elle est contrainte d'accepter son triste sort d'épouse d'alcoolique et de mère d'obèse.
Un après-midi de tempête, Thomas joue au cerf-volant sur la plage quand soudain s'avance vers lui un vieux monsieur, Léonard Pictone, qui s'écroule subitement après avoir reçu le bout du cerf-volant sur la tête: le début des ennuis et le début d'une folle aventure commencent pour cet adolescent de "treize ans moins le quart" qui se retrouvera sur une route cahoteuse, cachant moult chausse-trapes, la route d'un jeune super héros sur les épaules duquel repose l'avenir du monde. Il sera aidé en chemin par une belle voisine, Brenda, au passé tumultueux et au quotidien morose, et son ours en peluche où se réincarne le vieil homme, tué par le cerf-volant...en effet ce dernier n'est pas un citoyen comme les autres, il fut l'inventeur du Bouclier protecteur du monde actuel, les Etats-Uniques, et en est un de ses plus grands scientifiques!
Entre rêves issus d'absences étranges et quotidien insipide, Thomas parcourt la première étape de son initiation, de son passage à la vie adulte, alternant désir de rester tranquille et de se faire remarquer le moins possible et l'envie de brûler les étapes, pour laisser s'épanouir une force intérieure méconnue, une volonté d'émancipation étonnante, une sagacité et une prédisposition que la chappe de plomb familiale avait étouffées (pour son bien, le père de Thomas a trafiqué les résultats de son rejeton....histoire qu'il ne soit pas handicapé par son potentiel intellectuel et sa capacité de raisonnement).
Didier Van Cauwelaert met en scène un jeune héros que le lecteur suit avec plaisir, pour lequel le lecteur est plein d'espoir et de compassion, envers lequel le lecteur éprouve une immense tendresse: comment ne pas craquer pour ce môme mal dans sa peau, aux rêves plus grands que lui, au regard doux promené sur un monde qu'il trouve injuste, cruel, pesant, mais dont on doit supporter la marche insipide et intolérante. Son intériorité lui donne un espace de liberté entretenu par un père qui ne s'avoue pas vaincu et refuse de courber l'échine, un père qui lui distille des morceaux choisis de la civilisation d'hier que celle du présent a décidé d'éradiquer au nom d'un bonheur qui n'en est pas vraiment un. Il installe, également, un échéquier que l'on connaît bien et sans lequel le frisson ne serait pas vraiment garanti: l'incessante lutte menée entre le Bien et le Mal, ces deux points antagonistes essentiels et intimement liés, éternels frères siamois que l'on ne peut dissocier. L'auteur égare un peu son héros en le confrontant à deux images du Mal, deux images imbriquées l'une dans l'autre, soufflant le chaud et le froid, alternant l'espoir et le désespoir au cours d'une immense et intense partie d'échecs dans laquelle, fou, roi, reine,tour et simples pions dansent une valse doucereuse.
Avec discrétion, l'auteur interpelle le lecteur sur ce futur, pas si lointain, avec lequel notre actualité a quelques points communs: la norme dictatoriale de l'apparence, l'uniformisation des goûts et des saveurs, l'indigence de certains programme, le gavage médiatique, la scénarisation de la vie pour faire oublier ce qui ne tourne pas rond. Il souffle doucement l'image d'une spiritualité en perte de vitesse qui lentement éloigne l'Humanité de son essence même: celle du partage des ses connaissances et de son histoire, du don de soi, de l'altruisme et du tissage du lien social. Le passé apporte toujours un plus au présent, les Anciens sont toujours les passeurs essentiels pour ceux qui continuent l'histoire humaine.
Le jeune Thomas est un personnage attachant malgré la vision caricaturale de la femme qu'il véhicule....mais sans doute est-ce un aspect inhérent à la psychologie de l'adolescent en plein trouble hormonal! Ses émois sont touchants de sincérité et de maladresse aussi lui pardonne-t-on certains écarts.
"Thomas Drimm" est le premier tome d'une série de cinq romans et il ne donne qu'une seule envie: celle de connaître la suite des aventures initiatiques de Thomas.

Ah! j'allais oublier: j'ai beaucoup apprécié les clins d'oeil "écolos" du roman ainsi que sa chute d'une verdoyante ouverture.
Je remercie Paola et les éditions Albin Michel de m'avoir fait découvrir ce premier opus et de me permettre d'entrer dans le monde, encore méconnu pour moi, de la littérature adolescente.

(4/7) Les avis de stephie celsmoon leiloona lael yueyin BOB
Le site du roman ICI