Enquête sur la succession de Bernard Laporte.

Publié le 18 octobre 2007 par Pierre Salviac
1/2 Bernard Laporte et Jo Maso-Photo : La Fédération française de rugby traverse une zone de turbulences totalement inédite. Le président, Bernard Lapasset, doit nommer le successeur de Bernard Laporte. Un chantier dont Myfreesport révèle les enjeux.
À la fois président de la Fédération française de rugby et du comité d'organisation de la Coupe du monde, Bernard Lapasset avait tout prévu... ou presque. Cette Coupe du monde, c'était un peu la sienne, son oeuvre majuscule, un chantier vieux d'une dizaine d'années, le couronnement d'une longue, d'une très longue présidence. Fait exprès ou clin d'oeil d'une légende personnelle, la date de la finale de cette édition française, le 20 octobre 2007, coïncidait même avec son soixantième anniversaire. Hélas, ses belles chimères se sont évanouies la semaine dernière sur la forteresse dressée par le XV de la Rose, devenue un temple pour un rugby rationalisé... et ennuyeux à mourir.
Trois sélectionneurs... bientôt quatre. Depuis son accession à la présidence de la Fédération française de rugby en décembre 1991, c'est la cinquième fois que Bernard Lapasset se voit en situation de nommer un sélectionneur du XV de France. Flash-back. 1991, lendemain de défaite de l'équipe de France en demi-finale face à l'Angleterre. À la fédération, l'air est irrespirable. Vingt-trois ans après son intronisation, le président Albert Ferrasse tire sa révérence dans la confusion la plus totale. Contre toute attente, c'est Bernard Lapasset, secrétaire général de la FFR, qui tire son épingle du jeu. À 44 ans, ce haut fonctionnaire issu du corps des Douanes, veut frapper un grand coup. Fidèle à l'héritage laissé par Ferrasse, Lapasset décide seul, ou plutôt " avec quelques amis " comme il le dit lui-même, dans l'opacité la plus complète. Il choisit Pierre Berbizier comme nouveau sélectionneur de l'équipe de France, un joueur emblématique qui vient d'être écarté de la Coupe du monde. Au mois de juin 1995, l'équipe de Berbizier échoue en demi-finale face à l'Afrique du Sud, à quelques centimètres près (ceux manquant à Abdel Benazzi pour inscrire l'essai décisif). Les relations entre " Berbize " et Lapasset sont devenues exécrables. L'été passe et à la rentrée de septembre 1995, Jean-Claude Skrela, 45 ans, alors entraîneur de Colomiers reprend le flambeau. " C'est le manager du XV de France, André Herrero, qui m'avait d'abord contacté pour voir si j'étais intéressé par le poste et disponible, se souvient Skrela, aujourd'hui directeur technique national. Plus tard, j'ai su que le président de Colomiers avait été le premier à être mis dans la confidence ". En 1999, changement de décor. Le vent a tourné. Le professionnalisme est passé par là. Au duo formé par Jean-Claude Skrela et Pierre Villepreux, il est temps de substituer un nouveau visage, jeune si possible, à l'aise avec les médias.
C'est exactement le profil de Bernard Laporte, trentenaire, entraîneur du Stade Français et champion de France l'année précédente en 1998. Dans son autobiographie, Laporte raconte qu'il apprend l'heureuse nouvelle en novembre, quelques jours après la fin de la Coupe du monde qui s'est terminée par une défaite des Français en finale, face à l'Australie. En réalité, cela n'a pour lui rien d'une surprise. " En 1999, le choix s'est arrêté très vite sur Bernard Laporte, rapporte un témoin de la FFR. En tant que consultant pour TF1, Laporte vivait déjà dans l'entourage de l'équipe de France et le président Lapasset l'avait alors sollicité directement ". Le rugby français se lance donc dans le troisième millénaire avec, à sa tête, le troisième sélectionneur de l'ère Lapasset, le plus médiatique sans doute. Jamais une personnalité de l'Ovalie n'aura focalisé autour de sa personne autant d'attention et de sollicitations. Le style Laporte plaît, mélange d'humour, de coups de gueule et de déclarations à l'emporte-pièce. Il tisse des liens personnels étroits dans la microsphère médiatique, utiles dans la victoire comme dans la défaite, et finit par devenir la seule véritable star du rugby français. " Au détriment de ses propres joueurs ", disent ses détracteurs. Marqué par l'échec de 2003, lorsque la France s'incline en demi-finale face à l'Angleterre, il est tout près de démissionner. Mais c'est Jean-Pierre Rives, ex-international de légende et surtout président des Barbarians français, qui le convainc de repartir pour un tour. Tout se passe en Australie, dans les jours qui suivent la défaite de Sydney. " Dire que c'est grâce à moi que Bernard est resté sélectionneur de l'équipe de France serait un peu exagéré, mais je lui ai parlé, c'est vrai ", reconnaît l'ancien 3e ligne.
Héritier du système façonné par son prédécesseur Albert Ferrasse, Lapasset cultive l'art du mystère. Pour ne pas interférer avec la fin de la Coupe du monde et aussi pour garder la main le plus longtemps possible. Il veut nommer le sélectionneur seul, en accord avec son petit comité de fidèles, mais certainement pas dans le cadre d'une procédure transparente. Pas question donc d'auditionner différents candidats, de les évaluer et de les comparer, projets contre projets. " Oui, cela se passe de cette manière à la Fédération française de football, mais ce n'est pas dans la culture du rugby ", se défend Lapasset.
" J'ai toujours été partisan des auditions, rétorque Serge Blanco, président de la Ligue nationale. Le rugby français ne doit pas faire l'économie d'une vraie discussion. Il faut savoir dans quelle direction le nouveau sélectionneur veut aller ". Au lieu de cela, le président se contente de rencontres informelles et (presque) secrètes comme celle qu'il a organisée à Paris, il y a plus de deux semaines, avec Philippe Saint-André. Depuis, il refuse d'en dire plus, s'amuse à brouiller les pistes, " soucieux de ne blesser personne ". Les personnes qui ont son oreille et susceptibles de l'influencer, se comptent sur les doigts d'une seule main. Ils font partie de ce qu'on appelle le " bureau dans le bureau ", référence au bureau fédéral qui se réunit épisodiquement. On y trouve Jo Maso et Jean Dunyach, les deux hommes qui entourent habituellement Bernard Laporte pendant les matches, et Jean-Claude Skrela, directeur technique national. Plus officieusement, le clan des Barbarians qui est au rugby ce que le Variétés club de France est au football, s'active pour pousser son candidat. Son président, Jean-Pierre Rives, n'a jamais caché son affection pour Guy Novès, le manager du Stade Toulousain, et pour Raphaël Ibanez. Mais ce dernier ne sera jamais champion du monde et on sait désormais qu'il ne pourra pas s'affranchir d'une nécessaire période de maturation. " Nous devons lui construire une carrière ", confirme Lapasset.
À défaut d'un appel d'offres en bonne et due forme, on l'a vu, Bernard Lapasset consent tout de même, au détour de quelques confidences, à parler des grandes lignes du cahier des charges qu'il imposera au nouvel entraîneur du XV de France. " Je veux une personne disponible à 100 % pour l'équipe de France et pour toutes les équipes de France ", explique-t-il. Contrairement à Bernard Laporte (qui multipliait les activités annexes, à tel point que son salaire fédéral de 7 500 € par mois, n'était que menu fretin par rapport à l'ensemble de ses revenus), le prochain sélectionneur devra donc se consacrer entièrement et exclusivement à sa tâche. Seconde caractéristique dévoilée par Bernard Lapasset, " le prochain sélectionneur ne sera pas un homme providentiel ". Exit donc l'éventualité d'un homme seul, omnipotent et coupé du reste de la famille française du rugby. Plus concrètement, l'heureux élu sera placé à la tête d'une petite équipe riche d'individualités de premier plan, spécialisées dans les différents compartiments du jeu, à l'image de ce qui se pratique dans l'hémisphère Sud. S'il est amené à chausser les crampons à l'occasion des entraînements, ce ne sera pas sa mission première. En bref, il doit être un observateur, puis un décideur, bien plus qu'un entraîneur.
C'est exactement le profil de Philippe Saint-André, 40 ans, " Director of rugby " du club anglais de Sale, dans la banlieue de Manchester, où il vient d'entamer sa troisième saison. Manager au sens le plus large, il gère le budget du club, négocie les contrats des joueurs et de son staff et coordonne la politique sportive. Après avoir remporté deux titres coup sur coup, les deux seuls de sa carrière, le Challenge européen en 2005 et le titre de champion d'Angleterre en 2006, Saint-André est rentré dans le rang la saison passée (dixième sur douze de la Premiership). Mais un palmarès récent n'est pas forcément décisif. Auquel cas Fabien Galthié, champion de France en 2007 avec le Stade Français, serait le grand favori. Si Saint-André à la faveur des pronostics, il le doit d'abord à sa relation personnelle avec Bernard Lapasset. Sans être les plus grands amis du monde, les deux hommes sont toujours restés sur la même longueur d'onde depuis les années 90, à l'époque où Saint-André brillait sous le maillot bleu. Comme si cela ne suffisait pas, " le Goret " (ainsi surnommé parce qu'il se tenait, paraît-il, très mal à table) a appris les bonnes manières. Rompu à la diplomatie du rugby international, il endosserait parfaitement le costume d'ambassadeur du rugby français qui est aussi attaché au poste de sélectionneur. Sur le plan du jeu en revanche, les commentaires sont plus partagés. Saint-André n'a rien d'un " créatif ", contrairement à des concurrents comme Guy Novès ou Fabien Galthié, étiquetés brillants théoriciens du rugby. Ses détracteurs critiquent même le jeu plutôt frustre pratiqué par ses équipes : Gloucester et Sale en Angleterre et Bourgoin-Jallieu en France. Dernier point, Saint-André présente l'immense avantage de ne pas occuper un poste dans le rugby français. Il ne risque donc pas de froisser les susceptibilités régionales que pourrait provoquer, aux yeux du Sud-ouest, la nomination d'un Galthié dont l'image est liée à celle du Stade Français, le club dont était déjà originaire Bernard Laporte. La fin du suspense, s'il en reste un, devrait intervenir sous quinze jours. C'est du moins la promesse faite par Bernard Lapasset. En réalité, l'information pourrait " fuiter " à l'issue du Conseil fédéral, organisé le 24 octobre prochain dans les Hautes-Pyrénées à Tarbes, ville natale du président Lapasset.