En 1233, le pape Grégoire IX crée un tribunal ecclésiastique qui officiera pendant plus de cinq siècles et ternira profondément l'histoire d'une religion. Cette nouvelle instance portera le nom d'Inquisition et sera active en France, en Espagne et en Italie jusqu'à la dernière condamnation à mort prononcée en 1781. Par les méthodes qu'elle emploie, la délation et la torture, elle terrorise les villes et les campagnes en persécutant ceux considérés comme déviants vis à vis des préceptes catholiques. Des cathares, des musulmans, des juifs, des luthériens, mais aussi des hommes et des femmes accusés de sorcellerie seront autant de victimes qui entacheront à jamais une religion monothéiste, celle-ci se réclamant de Dieu pour tuer. Pourquoi la papauté, qui revendique la représentation du christianisme, a-t-elle ordonné un tel déchaînement de haine et comment ces actions ont-elle pu s'inscrire durablement dans le temps ?
Il faut comprendre qu'au XIIIième siècle il existe deux types d'Eglise, l'une qui fuit et pardonne, l'autre qui possède et écorche. C'est à cette dernière que Grégoire IX appartient, en prolongeant notamment la réforme grégorienne qui est animée par l'idéal de la théocratie pontificale. L'Inquisition est en quelque sorte l'aboutissement de cette voie réformatrice dont le but est d'amener le pape à représenter la suprématie spirituelle sur le pouvoir temporel. Cette omnipotence ne peut supporter l'hérésie. Le catharisme, qui apparaît essentiellement en France à la fin du XIème siècle, est visé. Les cathares sont dualistes, ne voyant en Dieu aucune responsabilité quant à la marche du monde. Ainsi, les soubassements d'un pouvoir basés sur la représentation d'une entité qui n'est responsable de rien est bien plus diffiçile à légitimer, tout comme le lancement de croisades au nom d'une supposée volonté divine. Le pouvoir papal se sentant menacé par le discours cathare décide alors d'instituer un tribunal à caractère spécial, une Sainte Inquisition qui sera permanente.
L'Inquisition est alors confiée à l'ordre dominicain, la vocation de leur représentant Dominique étant de prêcher contre l'hérésie. Le pape refuse de s'adresser aux Evêques dont la chasse aux hérétiques est ordinairement de leur ressort, encadrés par des tribunaux. Grégoire IX estime en effet que ces dignitaires cléricaux entretiennent des relations trop proches avec la population de leur diocèse, ce qui les conduit à prononcer des admonestations dont la sévérité est insuffisante aux yeux de l'Eglise. Grégoire IX exige le fonctionnement d'un tribunal sans appel, dépendant directement de la papauté et dont les missions sont remises dans les mains d'un ordre qui n'a à répondre de ses actes que devant le pape. L'Inquisition est ainsi la création d'un système usant de méthodes comparables à celles engagées par les pires régimes totalitaires, comme la délation, l'emploi des confessions à titre de dépositions de justice qui s'apparentent plus à des aveux ou à des témoignagnes extorqués, ou encore l'usage de la torture autorisée par le plus haut dignitaire de l'Eglise en 1252.
L'Inquisition sévit jusque dans les plus petits villages, les dominicains occupant le terrain sans contrôle de quiconque relevant d'une autorité à l'endroit où il se rendent. L'Inquisiteur est à la fois confesseur, enquêteur, juge et procureur. Le tribunal ne fait l'objet d'aucun contre-pouvoir, aucun avocat ne pouvant être appelé. Tout juste est-il accordé un droit de défense au prévenu mais il ne peut l'exercer que seul. L'entreprise inquisitoire, en systématisant la dénonciation, est effroyable car elle brise les consciences et les solidarités : tout le monde se méfie de tout le monde, qu'il s'agisse de la famille ou du voisinage. Même les morts ne sont pas épargnés, l'Inquisition pouvant reconnaître comme hérétique des défunts. La dépouille des condamnés par contumace est ainsi exhumée pour ensuite être brûlée. Contre les vivants, l'Inquisition requiert à plusieurs types de peine. La plus absolue est la condamnation à mort, dont le bûcher se généralise après l'élimination des cathares. Le feu est utilisé car il présage l'enfer auquel est voué le supplicié.
D'autres types de sentences furent prononcées par le tribunal, comme les pénitences adressées aux repentis, les obligeant à réaliser des pélérinages qui les contraignaient jusqu'à la fin de leur vie. La discrimination s'imposait également à toux ceux soumis au port d'une croix jaune dans le dos, pour qu'ainsi leur sacrilège soit à jamais marqué sur le corps et qu'ils soient réjetés au banc de la société. L'Inquisition ne s'éxonérait pas non plus d'emprisonner les accusés, pour une durée déterminée en salle commune ou à perpétuité, enchaînés dans un cachot avec comme seule concession la reconnaissance renouvelée de l'Eglise à leur égard, ce qui leur promettait une place au cimetierre une fois morts. Ces sanctions, peines et sentences étaient exposées au peuple comme une technique de dissuasion de toute action ou pensée allant à l'encontre de la religion catholique.
Le catharisme vaincu, l'Inquisition n'en continue pas moins de perdurer. La papauté en effet ne peut pas admettre la véracité de certaines théories scientifiques. Elle s'en prend donc à ses auteurs, comme Giordano Bruno, philosophe et théologien italien du XVIème siècle qui reconnût l'infini et affirma ainsi qu'une quantité innombrable de mondes comme le nôtre existaient. Refusant l'abjuration, il fût brûlé sur la place publique de Rome. L'Espagne n'est pas non plus épargnée par les poursuites inquisitoires qui visent les juifs et les musulmans soupçonnés de ne plus être des chrétiens convertis et de s'adonner de nouveau à leur foi hérétique. Les protestants seront aussi inquiétés par l'Eglise catholique, tout comme bon nombre de femmes accusées d'actes de sorcellerie, dont Jeanne d'Arc brûlée vive suite à une condamnation prononcée par l'Inquisiteur. L'Inquisition suscite également beaucoup d'émules, particulièrement au XVème et XVIème siècle, les pouvoirs publics s'inspirant largement des méthodes et de l'emprise idéologique développée par l'Eglise. Des philosophes sont inquiétés, le puritanisme s'installe, notamment dans l'Amérique coloniale où le procès des sorcières de Salem illustrera la percée inquisitrice dans la communauté civile.
L'Inquisition ne sera jamais abolie, car il s'agit d'une institution qui existe encore aujourd'hui, mais sous un nom différent, soit la Congrégation pour la doctrine de la Foi. Il s'agit d'une espèce de police ecclesiastique, chargée de veiller à l'orthodoxie des publications et de la vie du Clergé. Le cardinal Ratzinger en sera l'un des dirigeants avant de devenir le pape Benoît XVI. Cette congrégation n'a bien-sûr plus les mêmes pouvoirs que ceux dont disposait le Tribunal spécial imaginé par Grégoire IX. Tout juste s'agit-il de condamnation morale vis à vis de personnes qui n'appartiennent pas à l'Eglise. L'Inquisition a laissé des traces profondes dans toutes les sociétés où elle fût exercée. L'Inquisition reposait sur l'aveu et la pénitence. Cette forme d'autocritique sera reprise par des totalitarismes modernes, comme le stalinisme, ou encore le maccarthysme symbolisé par la chasse aux sorcières.
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