Ah Michel, Michel, tu n'es pas sympa. Ta mort, suite à un accident cardiaque, nous laisse sans voix. Après la disparition de ton épouse, Jeanne, frappée également brutalement à l'automne 2007, voilà deux figures, celles des Doucet, qui disparaissent de la vie lovérienne et rolivaloise (1) à de nombreux titres. Nous sommes très nombreux à vous regretter tous les deux.
De ton retour, Michel, à Louviers, je suis, en partie, responsable. Épris de justice sociale et de militantisme de gauche, tu nous avais, en effet, rejoint au sein du Comité d'Action de Gauche après la défaite d'Ernest (2) aux municipales partielles de 1969. Tu appartenais alors au club des Jacobins et à la Convention des Institutions républicaines animée par Charles Hernu. Quand François Mitterrand a pris le Parti socialiste à Epinay, en 1971, nos routes ont divergé.
Tu croyais fermement à la primauté du combat national alors que j'étais convaincu — je le suis toujours — que du terrain local monte l'expression populaire dans sa crudité et dans toute son intelligence. Tu es devenu un porte-parole du PS, je suis alors resté un militant de base sans parti, sans volonté de carriérisme, persuadé qu'un militant doit apporter et non attendre.
Tu t'es cependant considérablement investi dans la section locale du PS dont tu as été le secrétaire à plusieurs reprises et, n'était l'épisode tragique des législatives de 1973 dans lesquelles tu connus un terrible accident de la route, nous avons mené plus d'une campagne nationale ensemble : Présidence de la République, législatives, sans oublier, évidemment, les campagnes locales quand l'union de la Gauche s'est enfin réalisée en 1995. Et tu n'y fus pas pour rien.
Je dois te le confier, nous avons, tous deux, commis des erreurs. Toi en ne comprenant pas que ce qui se passait à Louviers était proprement révolutionnaire et humaniste, moi en ne saisissant pas l'erreur qu'il y eut à à ne pas empêcher à tout prix Odile Proust de te prendre le siège de conseiller général. Mais cela tu le sais, puisque nos retrouvailles nous ont permis de tout nous dire dans le plus grand respect mutuel de notre histoire singulière et de nos combats communs.
Militant socialiste tu l'étais du fond de l'âme. Avec Jeanne, vous formiez un couple exemplaire de ce que le militantisme fait de mieux : des convictions, de vraies certitudes, un engagement bien ancré à gauche…et, dans ces conditions, il n'est pas étonnant que nos chemins se soient à nouveau rejoints pour qu'ensemble, nous avancions sur la même route aux municipales. Convaincu par nos arguments, tu as fait preuve d'une loyauté absolue à l'égard de nos choix politiques durant la campagne électorale livrant, depuis lors, une bataille de haut niveau au conseil municipal malgré des conditions difficiles sur lesquelles il n'est pas l'heure de s'appesantir.
Après avoir adhéré au PS pour des raisons d'efficacité, de travail collectif, sans rien renier de mes convictions et de mes valeurs, tu m'as accueilli avec chaleur au sein de la section de Louviers. Compte tenu de mon passé lovérien, tu m'avais prédit des heures difficiles et des critiques véhémentes de la part de qui nous savons. J'y ai eu droit mais je savais tout de la dureté du combat politique, souvent cruel mais jamais vain.
Je te taquinais, parfois, sur ton adhésion à la franc-maçonnerie. Tu aimais les lumières, les droits de l'homme, le progrès. C'est un peu grâce à toi que j'ai rejoint la LDH (Ligue des droits de l'homme) devenue si indispensable sous le règne sarkozyste. Tu aimais aussi les combats difficiles comme celui que nous menons pour que la famille Dramé obtienne un toit décent et des papiers. Dans la lutte que nous engageons contre les grands groupes qui ont fait main basse sur l'eau et d'autres biens publics, tu avais répondu présent nous prodiguant tes conseils et tes connaissances. La photo de la conférence de presse parue dans Paris-Normandie récemment sera donc la dernière de ta vie publique active. Idem pour ta prestation talentueuse lundi dernier lors de la réunion du conseil municipal. J'ai sous les yeux le mail que tu m'as adressé hier pour m'expliquer le pourquoi du comment…j'en ferai bon usage.
Socialiste et élu, tu fus conseiller général, membre de l'Ensemble urbain du Vaudreuil qui conduisit les destinées de la ville nouvelle naissante. Cet engouement pour cette dernière, tu l'accomplis de manière concrète et directe en devenant directeur de l'établissement public de la ville nouvelle et en lui faisant franchir un nouveau cap avant le lâche abandon de l'Etat en 1986.
Il est évident également que tes compétences de gestionnaire et de financier comme adjoint au maire de Louviers, manquent cruellement à la municipalité actuelle. Tu voulais serrer la vis, trop peut-être, mais tu avais l'évidente vision d'une situation qui, depuis quelques années, conduisait la ville droit dans le mur au pied duquel le maire dit aujourd'hui se trouver. Nous lui adresserons, en forme de clin d'œil, le texte que tu as écrit pour « Allez Louviers » et qui démontre avec quel humour tu savais traiter les questions les plus sérieuses.
Cet humour, cette amitié, les qualités propres à ta formation et à ton caractère te permettaient de conduire le débat politique en sachant dépasser les miasmes du quotidien. Tous ceux et toutes celles qui ont travaillé à tes côtés retiendront ta compétence, ton esprit frondeur mais aussi ta gentillesse matinée de finesse. Tu étais de ceux à qui on le fait pas. Depuis le départ de Jeanne, tu avais certes changé. Son décès t'avait profondément touché et ta nouvelle solitude te pesait.
J'ignore encore quand aura lieu la cérémonie de tes obsèques. Sache que nous serons nombreux à t'y dire Adieu, toi qui avais des convictions laïques chevillées au corps. Je retiens l'une des dernières phrases que tu m'aies dite : « Au conseil général, tout nous opposait, Tomasini et moi, sauf un dossier qui nous rassemblait : nous étions contre l'aide à l'école confessionnelle ». Sacré Michel !
(1) Jeanne Doucet tenait des magasins d'opticienne à Louviers et Val-de-Reuil.
(2) Ernest Martin fut maire de Louviers de 1965 à 1969.