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Résistance(s)
Publié le 09 octobre 2009 par BoustouneQuand on évoque la Résistance française durant la seconde guerre mondiale, certains noms viennent naturellement à l’esprit. Ceux de Jean Moulin, de Lucie et Raymond Aubrac, de Pierre Brossolette, entre autres… Mais d’autres sont peu à peu tombés dans l’oubli, assez injustement. Par exemple, peu se souviennent du Groupe Manouchian, une division de résistants issus de la M.O.I. (Main d’œuvre Immigrée), elle-même intégrée au F.T.P. (Francs Tireurs et Partisans). Guidé par Missak Manouchian, un militant communiste d’origine arménienne, ce réseau d’une cinquantaine de personnes – ouvriers juifs polonais, hongrois, roumains, italiens antifascistes, espagnols républicains, tous affiliés à L’internationale Communiste – a pourtant brillé par ses nombreux faits d’armes, dont l’assassinat du général Ritter, adjoint au STO et le sabotage de convois militaires sur la ligne ferroviaire Paris-Troyes. En tout une trentaine de missions au cours des six premiers mois de l’année 1943, avant que 23 membres-clé du groupe ne soient arrêtés par la Brigade Spéciale, une subdivision des Renseignements généraux, puis livrés aux mains des allemands et enfin abattus au Mont-Valérien en février 1944. L’exécution de ces résistants a été utilisée à des fins de propagande par l’armée allemande et le régime vichyssois, pour dissuader le peuple français de faire confiance à « ces terroristes qui se prétendaient libérateurs ». Une affiche rouge a alors été placardée sur tous les murs des grandes villes, montrant le portrait des membres du groupe, le détail de leurs actes, et stigmatisant leur origine étrangère et/ou leur judéité.
Dans L’armée du crime, Robert Guédiguian a souhaité rendre hommage à ces femmes et ces hommes qui ont payé de leur vie leur combat pour la liberté, pour la défense de leurs valeurs politiques, philosophiques et morales, et qui ont contribué par leurs actes héroïques, à la libération de la France. Sans doute par pudeur, afin de ne pas faire un spectacle du destin tragique de ces combattants de l’ombre, le cinéaste a privilégié une mise en scène très sobre, dépourvue de pathos. Un choix éthique fort défendable, mais qui semble aussi l’avoir parfois gêné aux entournures. Car du coup, un peu étouffée par la froideur quasi-documentaire de la réalisation, l’émotion n’afflue pas toujours, ce qui empêchera probablement l’empathie de certains spectateurs vis-à-vis des personnages.
Dommage, car Guédiguian a su une nouvelle fois s’entourer d’acteurs parfaits, qui apportent tous une réelle densité aux personnages qu’ils incarnent.
Simon Abkarian possède la sensibilité et la force de caractère qu’il fallait pour aborder le rôle de Missak Manouchian, homme de lettres, intellectuel et pacifiste plongé dans un monde de violence et de haine. Robinson Stévenin, tout en violence contenue et en détermination, campe parfaitement Marcel Rayman, l’un des membres les plus intrépides du groupe. Grégoire Leprince-Ringuet incarne, lui, la fougue et la jeunesse de Thomas Elek.
Les autres comédiens sont au diapason de ces performances subtiles, totalement au service de l’œuvre. Et les actrices ne sont pas en reste. De Virginie Ledoyen à Lola Neymark, en passant par Ariane Ascaride, toutes sont elles aussi très convaincantes.
A ces figures héroïques et courageuses, le cinéaste a choisi d’opposer le portrait d’un homme lâche, pourri jusqu’à la moëlle, incarné par un excellent Jean-Pierre Darroussin. L’inspecteur Pujol est un policier fictif ( ?) qui aide avec zèle les Brigades spéciales et la gestapo à traquer juifs et opposants à l’occupant nazi, et qui va faire sa « part du travail » dans l’ignoble rafle du Vel d’hiv’, où plus de 13000 hommes et femmes ont été arrêtés puis déportés vers les camps de la mort… Le personnage est constamment ambigu. On ne sait pas trop s’il adhère vraiment aux ordres assassins donnés par sa hiérarchie ou s’il les réprouve, mais les exécute quand même par lâcheté. En tout cas, il profite honteusement du petit pouvoir que lui donne sa pitoyable fonction, symbolisant tous ces individus qui ont collaboré avec l’ennemi pour sauver égoïstement leur peau ou pire, s’enrichir.
Cela aurait pu donner une reconstitution bêtement manichéenne, mais il n’en est rien. Robert Guédiguian a su nuancer chaque personnage, les confrontant à leurs propres dilemmes moraux, à leurs doutes et à leurs peurs. Ce sont tous des êtres humains vulnérables et faillibles quand ils sont pris isolément, mais qui sont capables de se transcender au sein d’un groupe, pour la défense d’une cause juste ou, hélas, abjecte.
Dès lors, on comprend pourquoi le cinéaste s’est intéressé à ces faits historiques, lui qui tourne d’habitude de petites comédies dramatiques contemporaines et basées dans le quartier de l’Estaque, à Marseille. Il s’agit d’un film sur la solidarité et le courage face à l’adversité, sur les sacrifices à consentir pour battre un adversaire plus fort, ou encore sur le combat d’une minorité au sein d’une minorité…
L’objectif du réalisateur était double : rendre un hommage digne et pudique à ces héros méconnus morts pour libérer la France, mais aussi souligner que bon nombre de résistants étaient issus de mouvements de gauche, ancrés dans le milieu ouvrier. A une époque où les syndicats ont fortement perdu de leur pouvoir et sont contraints de faire des concessions sur certaines questions sociales, Guédiguian rappelle que la lutte et la rébellion à l’ordre établi est parfois le seul moyen de faire avancer sa cause.
Au passage, il redore le blason d’une grande figure du monde syndical et du communisme : Henri Krasucki. L’image de l’ancien leader de la CGT avait été sérieusement écornée par les média, la presse et certaines émissions satiriques ayant pris un malin plaisir à le faire passer pour un être frustre et vaguement simplet. Personnage secondaire du film, il apparaît ici, plus jeune, comme un homme intelligent, ardent promoteur des idéaux communistes et de l’égalité sociale, et un résistant ayant aidé de nombreux ouvriers juifs à fuir ou à se cacher pendant la guerre. Un portrait bien plus flatteur…
Le cinéaste montre aussi le décalage qu’il peut exister entre la base d’un mouvement (ici, le groupe Manouchian) et ses dirigeants (le responsable des réseaux des FTP). Avec en filigrane un message clair : les dirigeants des partis de gauche et des organisations syndicales jouent la carte – bien dérisoire - de la diplomatie, c’est donc à ceux qui sont sur le terrain de mener la lutte et de garantir la solidarité du mouvement…
Malgré son emballage très classique et un peu froid, L’armée du crime est un film assez abouti, où le cinéaste et son équipe atteignent parfaitement leurs objectifs. Voilà une œuvre qui, malgré quelques petits arrangements avec les dates de certains faits, est un témoignage historique important, à montrer aux jeunes générations afin qu’elles méditent sur les questions morales qui y sont abordées et la nécessité de ne pas oublier les horreurs commises par le régime nazi… et d’une partie du peuple français…
Note :
(Je tiens à dédier ce billet à la mémoire de mon oncle Serge, décédé la veille de la sortie du film. Il aurait probablement apprécié cette ode au combat collectif, lui qui s’est longtemps engagé dans l’action syndicale. Infatigable militant, il s’est toujours battu pour ses idéaux, pour la cause ouvrière et le droit à davantage de justice sociale. Pour les autres, car il avait foi en l’humanité… Il a malheureusement perdu son dernier combat, contre une saloperie de cancer des poumons, laissant tous ses proches dans la douleur et le désarroi. Hasta Siempre, compañero…)