Je vous ai vu claudiquer, madame, dans la rue. Le temps s'était alors comme figé. Il avait pris son temps, justement. Vous ne portiez nulle grimace sur votre visage, cane à la main. Toute entière concentrée sur votre marche, votre démarche. En ces temps pressés, votre allure fut pour moi comme un réconfort. Je restai sourd à un abruti qui, derrière, manifesta son mécontentement. Comme on manifeste quand on ne sait pas. Ou ne veut pas savoir.
Je me demandai quel accident ou quelle maladie avait pu vous handicaper à ce point ?
Je vous trouvais magnifique de dignité, il était long ce passage piéton, vous grignotâtes d'ailleurs sur le vert pour terminer la traversée au rouge.
Je fus heureux de ne pas me soucier de ce feu, de vous laisser traverser, de n'actionner la première qu'après m'être assuré que vous poursuiviez votre chemin, notant qu'une branche posée sur le trajet vous gêna mais n'escamota pas votre parcours.
J'ai aimé notre muette complicité, et je tenais simplement à vous le dire.