Les débuts en Inde
Lorsqu’il arrive à Calcutta, Victor sait qu’un travail de longue haleine
l’attend. Il sait aussi qu’un naturaliste (Alfred Duvaucel, beau-fils de Cuvier) qui l’a précédé dans des conditions matérielles identiques est mort à Madras. Il veut s’entourer de toutes les
précautions et commence à étudier la flore des Indes et les langues hindoustanis et du Cachemire. Pendant six mois passés à Calcutta où la colonie anglaise le reçoit avec beaucoup de
bienveillance et d’intérêt, il bénéficie de tous les moyens possibles pour ses études, pour se distraire et pour se loger. Puis il remonte le Gange avec une petite caravane d’une quinzaine de
porteurs et serviteurs. Cette partie de l’Inde l’intéresse peu, il la trouve très banale, peu diversifiée. C’est en remontant vers les sources du Gange dans la vallée de la Yamina qu’il fera sa
première grande récolte de plantes.
Nous avons trouvé par hasard un récit assez étonnant écrit par
Victor ; il raconte que lors de son séjour à Calcutta, tout au début, il est invité à un déjeuner dans une maison de la colonie anglaise. Apparemment il tombe sous le charme d’une anglaise,
la fille de la maison. Il y aura un dialogue extrêmement savoureux entre cette femme et lui, sur le mariage la religion et l’argent, cette femme apparaissant hélas assez rapidement comme une
femme rigide et intéressée. Mais sans doute la beauté de cette femme impressionna-t-elle Victor qui prit le soin de retranscrire, quelques heures après, ce dialogue qui forme un magnifique
morceau de théâtre, véritable morceau choisi ! Le texte est trop long pour être ici publié, mais c’est un vrai régal que ce dialogue dans lequel une femme prend de haut notre Victor qui
finit dans une extraordinaire finesse de mots par se moquer d’elle.
Si au bout d’un an, il inquiète le Muséum qui ne reçoit aucune pièce de
sa part, il a déjà acquis une solide réputation dans la colonie anglaise de toutes les Indes du nord et celle-ci va se faire un devoir de l’aider du meilleur moyen possible pour lui permettre
l’exploration de cette partie ouest des Indes. Déjà Wallich, puis Royle, directeurs de jardins botaniques en Inde, explorent activement la flore locale. Il se différenciera toutefois des Anglais
par une étude sur le terrain. Il va donc gravir les montagnes, subir les nuits glacées et les journées torrides, dormir sous la tente, escalader et forcer ses serviteurs à en faire de même, ce
qui est parfois l’objet d’épisodes pittoresques ; il ne compte pas ses chutes de cheval ou autre. Tous ces détails sont régulièrement contés dans l’abondante correspondance à ses amis ; à son
père d’abord à son f
rère Porphyre, à sa cousine Zoé, à Monsieur de
Tracy, à Chaper, à Stendhal, à Mérimée, à Jussieu, à Monsieur de Charpentier… Il collecte les plantes, note les associations végétales, vérifie comme l’a fait Humboldt l’influence de l’altitude
sur l’aspect des végétaux, des arbres en particulier : le Cedrus deodara et l’Aesculus indica, Pinus longifolia.
Levé à 6 heures du matin, parfois plus tôt, il marche, il chevauche, il
note, il collecte et il s’intéresse autant à la botanique qu’à la géologie, science débutante à cette époque. Les minéralogistes s’étonnent et n’ont pas d’explication rationnelle à la présence de
fossiles marins au sommet des montagnes et en particulier dans la vallée du Spiti. Il ne cesse de comparer la flore de l’Himalaya à celle des Alpes qu’il a bien étudiée et trouve une remarquable
similitude d’adaptation des plantes himalayennes à l’altitude ; les espèces différentes adoptant les mêmes aspects morphologiques dans ces conditions extrêmes.
C’est le 11 mai 1830 qu’il découvre une pivoine blanche qui n’est pas connue du monde
occidental. Il la nomme « Paeonia alba », il la prélève pour son herbier et la décrit dans son catalogue. C’est le premier botaniste à l’avoir décrite en latin, à avoir noté son carpelle
unique et jamais son nom n’est cité à propos de l’histoire de la découverte de cette pivoine nommée « Paeonia emodi » par Wallich et Royle. De ses premiers contacts avec les contreforts
de l’Himalaya dans le Kédar Kanta, il collecte environ 600 planches d’herbier.
Après une période de repos à Simla, où il est accueilli par son ami
anglais, le capitaine Kennedy, il repart vers le Tibet dans la vallée du Spiti et le Ladak où il atteindra l’altitude de 5500 mètres. Il voulait atteindre l’altitude où s’arrête la végétation. Il
fera également une relation entre l’altitude maximale de la végétation qui varie avec la latitude. Arrivé en Chine, par effraction, il fera le coup de feu avec quelque garde frontière qu’il
effraiera.
Revenu à Delhi, pour mettre en ordre ses écrits, ses collections et ses
notes, il obtiendra l’autorisation d’aller dans le Cachemire et le Pendjab qui n’est pas encore conquis par les Anglais et où règne le prince mogol Ranjit Singh que nos lecteurs connaissent
depuis la série d’articles que nous avions publiée sur le Général Allard.
En effet dés 1830
les rapports entre Londres et Paris
changent. Et en ce qui concerne l’Inde le nouveau roi de la France, Louis-Philippe, est un très ancien ami de Lord William Bentinck, alors Gouverneur du Bengale. Victor obtint ainsi la permission
de Bentinck pour visiter Lahore en 1831. Jacquemont fut bien accueilli par Allard, personnage qui va vite impressionner notre jeune savant. Jacquemont était très impressionné par la fonction
d’Allard dans la cour de Lahore et c’était lui qui envoya en 1832 la première lettre officielle au sujet des généraux au Pendjab. Dans cette lettre, il recommanda même au Roi de la
France qu’Allard, ancien Capitaine de la Cavalerie et Aide-de-camp du Maréchal Brune soit promu officier de la Légion d’Honneur. Allard fut promu par Louis-Philippe et la décoration lui fut
envoyée de Paris.
A SUIVRE