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Espagne : Du « pacte de l’oubli » à la « loi de mémoire historique »

Publié le 18 octobre 2007 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

Commentaire RELATIO par Daniel RIOT : « Ce passé qui ne passe pas »… Tous les pays sont concernés par cette confrontation entre le présent et le passé. « Nous avons tous des cadavres dans nos placards », constatait l’ancien ministre britannique Georges Brown…

La situation française face à la colonisation et aux décolonisations en procès l’illustre trop bien. Les sondages qui montrent qu’une grande partie des Allemands trouvent « positives » quelques marques du nazisme le confirment. Et ne parlons pas des nostalgiques du stalinisme dans toute une partie de l’Europe, des revendications « historiques » des Serbes sur le Kosovo, des clivages entres les « trois Ukraines »…Les positions des opinions publiques européennes face à la »question turque » ne sont-elles pas en partie liées aux souvenirs des sièges de Vienne ou de … François Ier ?

Comment se souvenir sans que la mémoire (toujours sélective) hypothèque l’avenir ? Question de fond de l’histoire européenne. Entre les pays. Et à l’intérieur de chaque pays.

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L’Espagne dans sa sortie du tunnel franquiste avait réussi un vrai miracle démocratique et sociologique grâce à quelques personnages hors normes (à commencer par le Roi) et grâce (on ne le souligne pas assez) à « l’esprit européen ».

J’ai des souvenirs personnels de rencontres des leaders de tous les courants d’opinions au Conseil de l’Europe à Strasbourg avant même la mort de Franco. Quelles belles leçons de réalisme politique grâce aux idéaux européens. Et le processus lancé a abouti à ce que l’on sait. De la mémoire, oui. Mais sans ces rancunes qui font si mal en incitant à gratter sans fin des blessures non cicatrisables…

Pourtant, la gauche espagnole a éprouvé le besoin, 30 ans après, de sceller dans un texte ce qui était un fait acquis mais non écrit. La Société comme Texte, redirait Pierre Legendre... La loi dite de «mémoire historique», qui condamne le franquisme et honore les victimes de la dictature, va voir le jour, après trois ans de discussions, avec son adoption par le Parlement espagnol d’ici à la fin du mois.

Ce fut même un des grands chantiers du mandat du chef du gouvernement socialiste, José Luis Rodríguez Zapatero. Mais ce chantier aboutit, au point politiquement, au contraire de ce qui était souhaité : une re-division de l’Espagne en deux… Division qui s’ajoute aux effets d’éclatements régionalistes.

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En effet, malgré la volonté initiale de rechercher à tout prix le consensus politique autour d’un sujet aussi sensible, le Parti populaire (PP), principal parti d’opposition de droite, votera contre. Et une partie des critiques publiques de la Couronne est née dans ce contexte.

« Libération » dans un article  de Jean-Hébert Armengaud fait ce matin un bon décryptage de cette « loi de mémoire historique ». Une loi qui illustre d’ailleurs l’extrême difficulté de mélanger les rôles de deux fonctions : celle des historiens et celle des législateurs. Une difficulté universelle : le Congrès américain le confirme en suivant les pas du Parlement français sur le « génocide arménien » en Turquie. Au nom de quoi ? Au nom de qui ?

Ce type de débat sans fin est plus révélateur d’intentions politiques que des volontés d’approcher le plus possible l’insaisissable vérité …Il débouche sur des interrogations philosophiques sur la Mémoire, cette « grande trieuse sélective », sur le « devoir de mémoire », sur les vertus et les effets pervers de ces « regards dans les rétroviseurs » qui sont si indispensables pour que le Présent soit mis en perspective et pour que « l’Histoire ne bégaie pas »  mais qui sont si périlleux quand ils hypothèquent l’Avenir. « L’idée européenne » repose sur des « constats de réalité » faits avec un pari humaniste : celui de la perfectibilité des personnes et des peuples.

Daniel RIOT

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UN RESUME DES FAITS (dans LIBERATION) 

Une loi de «mémoire historique» pour en finir avec la guerre civile

1. Ce que dit la loi espagnole

Elle condamne expressément la dictature franquiste, «régime totalitaire contraire à la liberté et à la dignité de tous les citoyens». Elle oblige l’Etat, les régions, les communes à retirer de l’espace public les symboles et monuments qui font allusion au franquisme.

Il y a deux ans, Zapatero avait fait retirer du centre de Madrid la dernière statue de Franco existant dans la capitale. Mais, même si avec le temps les références à la dictature se sont un peu gommées, bien des villes espagnoles ont encore leur «avenue du Généralissime», voire leur statue de Franco, comme dans le centre de Santander (Cantabrie). Sans compter les rues du 18-Juillet (date du coup d’Etat de Franco en 1936) ou Carrero-Blanco (du nom de l’ancien Premier ministre du dictateur).

La loi n’annule pas, comme le réclamaient certaines associations de victimes ou partis de gauche, les procès menés par les tribunaux franquistes contre les opposants à la dictature. Cependant, elle déclare «illégitimes» ces tribunaux et leurs sentences, ce qui ouvre la voie à des annulations et des révisions, au cas par cas.

Enfin, autre point fort de la loi, l’Etat et les administrations locales s’impliqueront dans la localisation des fosses communes où ont été jetés des morts républicains au cours de la guerre civile. Jusqu’à présent, les recherches des corps et leur identification étaient à la seule charge des associations.

2. Pourquoi ce texte 30 ans après…

La transition démocratique espagnole, de la mort de Franco en 1975 jusqu’à l’adoption de la nouvelle Constitution en 1978, a été fondée sur un «pacte de l’oubli». En échange du consensus politique, le procès du franquisme et de ses responsables n’a jamais été fait.

Paradoxe : bien plus tard, c’est le juge espagnol Baltasar Garzón, par exemple, qui tentera d’inculper le dictateur chilien Pinochet. «L’Espagne a une histoire tumultueuse, avec trois guerres en deux cents ans et une récente dictature de quarante ans. Avec la transition, des gens qui venaient d’horizons divers se sont mis d’accord pour fermer ce passé et regarder vers l’avenir», explique aujourd’hui le leader du PP, Mariano Rajoy.

C’est ce pacte tacite que José Luis Rodríguez Zapatero remettrait en cause – selon la droite. Celui-ci, à 47 ans, fait partie de la première génération d’hommes politiques qui n’a pas «vécu» (politiquement parlant) cette période de la transition démocratique.

Il n’hésite donc pas à briser le tabou. Petit-fils d’un républicain fusillé en 1936 par les troupes franquistes, il veut «réhabiliter la mémoire des vaincus».

3. Pourquoi la droite s’y oppose

L’argument de la «rupture» du pacte de la transition brandi par la droite n’explique pas tout. Le PP est l’héritier direct de l’Alliance populaire, fondée, sous la transition, par un ancien ministre franquiste de l’Information, Manuel Fraga.

Une partie de son électorat est farouchement conservatrice et opposée à toute condamnation du national-catholicisme en vigueur sous la dictature. L’ancien ministre de l’Intérieur du PP Jaime Mayor Oreja ne peut être plus direct : «Je ne condamne pas le franquisme. Pourquoi condamnerais-je ce qui représentait un grand nombre d’Espagnols ? Le franquisme fait partie de l’histoire de l’Espagne. Laissons-le aux historiens.»

Jean-Hébert Armengaud


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