L'atmosphère se réchauffe et c'est presque une bénédiction. Les bouleversements climatiques qui s'annoncent forcent le regard, on ne peux plus évacuer la question écologique. Les "activités humaines" ont pris l'ampleur des activités de la Terre, nous dialoguons maintenant, unis malgré nos divisions, d'Humanité à Planète. Et si novice que puisse être notre civilisation dans cet art ésotérique, il semble fort que les quelques signaux qui nous parviennent déclinent sur tous les canaux l'air du bouleversement. Le paysage, qui sous nos yeux se fait virage, chante sans joie ni peine l'ère des remises en questions. En guise de préambule, de première introspection, posons-nous cette question devenue omnisciente : "Comment en sommes-nous arrivés là, quelles sont les causes profondes de la crise écologique, pourquoi notre planète nous tance-t-elle ainsi ?". Plus loin : "Quelles sont les forces humaines qui nous ont mené et qui nous mènent encore à l'impasse ? Dans quelle mesure le système économique en est-il la transposition ? Pouvons-nous explorer d'autres manière de voir ?"
Mille et une solutions
Au premier plan de notre monde, cupidité et avidité ; suivies par leur cour ; frustration, jalousie, violence. Leur œuvre ; un modèle économique sur lequel ont glissé toutes les brides, le néolibéralisme, qui doit être mis en question. Depuis 40 ans, nous avons suffisamment étendu nos connaissances, scientifiquement ou empiriquement, pour infléchir radicalement notre manière de vivre : matériaux naturels, sains, locaux, renouvelables, solides et bon marché pour bâtir ;
Construire une maison en bois, isolé avec de la paille
Un village autosuffisant en plein désert
sources d'énergies multiples et décentralisées (selon le terrain), solaire ; agriculture à échelle humaine et semis direct ; voitures électriques, moteur pantone ; statut d'autogestion pour les entreprises qui le désirent; recyclage et consigne ; économie circulaire ; produits durables à faible taux de remplacement etc. Tous ces aspects qui sont autant de têtes de chapitres entiers, et d'autres encore, combinés, nous offrent certainement depuis plusieurs décennies la capacité à penser un monde qui ne perde rien de son confort mais qui abandonne le productivisme insensé devenu notre fil conducteur depuis plus d'un demi-siècle. Mis à part quelques passionnés géniaux ; selon les cas loués, récompensés et oubliés ou alors stigmatisés, ostracisés et caricaturés ; nous n'avons pas encore su en tant que société nous saisir de ces opportunités, et imaginer l'organisation nouvelle que pourrait offrir leur combinaison. La raison en est bien simple : toutes ces petites avancées prometteuses apportent comme corolaire à leur nouveauté technique une nouveauté mentale et émotionnelle, l'abandon ou la mise au second plan de la cupidité et du profit au profit d'autres valeurs et d'autres satisfactions non moins agréables mais moins perverses pour l'esprit humain, pour le tissu social, pour l'humanité.
Où l'on voit bien que la crise actuelle n'est pas du tout technique, elle est humaine. Où l'on perçoit que la Terre, par con courroux, nous renvoie à nous mêmes. Tant que nous n'aurons pas mené à bien la révolution intérieure qu'elle nous impose, nous ne parviendront pas à éviter l'écueil. Les flux de matière qui parcourent la Terre ne peuvent pas être considérés indépendamment des flux de pensées et d'émotions qui traversent l'humanité. Deux faces d'une même pièce. En cela notre époque est nouvelle, elle nous unit dans un destin commun. Nous devrons nous transformer, nous adapter à cette nouvelle donne ou subir les affres de notre entêtement, peut-être jusqu'à la mort.
Mais aujourd'hui encore, remettre en question le néolibéralisme dans les faits, et non dans les paroles, reste tabou. Celui qui s'y risque sera traité de communiste, d'extrémiste, d'idéaliste, on n'ose pas imaginer autre chose. Dores et déjà, des spécialistes mettent au point les solutions qui devront s'imposer. Les choix ont déjà été faits. Voici, par exemple, comment il faudra gérer l'emblématique excès de CO2 dans l'atmosphère...
Pas d'alternative
Ici, il n'est pas du tout question d'économie circulaire, ni d'écologie industrielle. Les vieux concepts de l'économie linéaire, et du libre marché "autorégulé" règnent toujours en maîtres. La première idée consiste à permettre aux entreprises de "compenser" leurs émissions de CO2, par exemple en finançant la plantation d'une parcelle de forêt. Cette forêt devra pouvoir stocker à terme l'équivalent du carbone dispersé... ce qui demandera environ cent ans. Ce délai, rarement mis en avant, dévoile le trompe l'œil et l'inefficacité du procédé. Qui plus est, nous n'avons pas du tout la capacité de stocker l'équivalent de ce que nous émettons, même si l'on pouvait tolérer d'attendre un siècle.
Ce système, en vigueur sur la base du volontariat (!), applique le principe du pollueur payeur : si vous avez l'argent, vous pouvez continuer à polluer. Il s'agit en fin de compte de répartir les droits à émettre du CO2 en fonction des ressources de chacun, en prétendant que l'autorégulation poussera le marché à explorer de lui-même des pistes plus propres. Ce qui est encore à l'étude, et que préfigure déjà la "taxe carbone", c'est l'idée d'intégrer ce rationnement dans nos pratiques courantes de consommation, qui par ailleurs, ne sont pas censées changer en profondeur.
Chaque citoyen posséderait un capital carbone renouvelé en chaque début d'année, et fixé à un certain nombre de tonnes. Une fois le plafond atteint, il deviendrait obligatoire d'acheter le droit de continuer à polluer (déplacement, achat, chauffage, électricité). A cette fin, on ouvrirait un marché "autorégulé", une nouvelle "bourse du carbone", où les droits d'émission de CO2 seraient transformés en titres. Il s'avérerait donc possible de spéculer, de concevoir des produits dérivés et tout autre de type de montage financier déjà expérimenté par ailleurs... Les citoyens se verraient contraints de gérer en permanence ce crédit carbone, grâce à une carte type carte de crédit, et d'acheter ou vendre leurs droits sur le marché. Une obligation de devenir un petit porteur et d'utiliser les mécanismes boursiers. Ce projet, en cours d'élaboration, pourrait entrer dans nos vies d'ici quelques années.
Ces marchés existent déjà pour certaines entreprises, bien qu'ils ne fonctionnent pas correctement pour le moment. Corruption, fausses réductions d'émission, spéculation... Les multinationales, au nom de leur participation au marché du carbone, seront exonérées de la taxe carbone que devront payer les citoyens et les PME françaises, dès la première tonne, à partir de 2010...
Pourtant le résultat de ces nouveaux marchés spéculatifs, créés par le fameux protocole de Kyoto, sont éloquents. Les pays industrialisés sont loin d'avoir réduits leurs émissions de gaz à effet de serre de 5,2% en moyenne, objectif de Kyoto par rapport à l'année de référence 1990. En fait les rejets ont augmenté de 3,29%. A noter que les Etats-Unis ont fortement influencé les débats sur l'accord de Kyoto, même après avoir refusé de signer le protocole. Ils ont mis toutes leurs forces dans la bataille pour voir la création d'une bourse du carbone, à laquelle ils participent, sans s'être engagé à réduire leurs émissions (+15,4% depuis 1990).
En effet, les règles d'obtention des permis de polluer sont tout à fait particulières... Il existe, par exemple, une disposition appelée MDP (Mécanisme de Développement Propre) qui permet d'obtenir des droits d'émission en proportion des économies supposées créées par un investissement dans un pays en voie de développement (ne s'étant pas engagé à réduire ses émissions). Exemple : L'entreprise A construit une usine en Chine, cette usine émet 70 au lieu de 100 grâce à une technologie de filtrage du carbone. L'entreprise obtient un permis de polluer de 30 qu'elle peut soit valoriser sur un marché du carbone (spéculation) soit utiliser elle-même pour polluer à hauteur de 30. On récompense les économies d'émissions supposées, par rapport au modèle habituel (business as usual). Les entreprises constituent elle-mêmes les dossier qui prouvent la réalité de ces économies, et ils sont systématiquement validés par l'office de l'ONU dédié au protocole de Kyoto (CCNUCC) qui doit croire les entreprises sur parole faute de moyens pour vérifier. On estime globalement à 20% la fraude. Pour les 80% restants on appréciera l'efficacité : une entreprise qui crée une nouvelle usine émettant 70 (bilan net pour la planète + 70) se voit accorder un droit de polluer en occident égal à 30 !
Jouer au casino sur le dos du réchauffement climatique, la grande nouveauté depuis 2005, n'empêche aucunement les entreprises de continuer leurs activités polluantes à des milliers de kilomètres des points de vente, là où aucune réglementation ne leur demande de produire des "droits à polluer", là où la main d'œuvre demeure sous-payée et privée de droit. Si toutes les multinationales militent ardemment en faveur d'une solution de marché à la crise climatique, et qu'elles obtiennent, c'est parce que cette solution leur permet non seulement de ne rien changer, et même d'engranger des profits sur ces nouveaux marchés boursiers, la tonne de carbone jouant le rôle d'une monnaie à part entière...
C'est dans ce contexte qu'elles financent, par exemple, des projets comme le film "Home" de Yann-Arthus Bertrand, qui évite soigneusement d'investiguer les causes du problème qu'il dénonce, tout distillant l'idée qu'une "régulation par le marché" s'avère incontournable... Diffusion mondiale, copies gratuites, Staline en rougit...