Les mots ne viennent pas, ne veulent pas sortir; il faut les extirper, les tirer dehors, les vomir, les violer, afin qu'enfin ils parlent; mais il parlent faussement sous la violence, comme s'ils connaissaient la vengeance, comme s'ils voulaient nous faire comprendre que cela ne sert à rien d'aller contre leur gré.
Les mots sont maîtres; pas uniquement chez eux, et même sinon, leur royaume est si grand qu'il nous dépasse, qu'il nous écrase, nous fait rentrer la tête dans une petite boîte et par son poids pèse sur le couvercle.
Les mots friment, tantôt lourds, tantôt légers. Ils friment de leur grandeur, de leurs facultés. Ils se moquent, se tordent de de rire, plient leur corps en une bouche qui se veut cruelle, malsaine.
Eux-mêmes sont pervertis, ils l'ont appris chez nous, dans notre bouche, dans notre coeur. ils sont le reflet de nous-mêmes, mais eux ont réussi à prendre de la place, de l'espace, du poids. Eux se sont envolés, eux qui avaient les mêmes aspirations que nous, ont été assez libres pour les concrétiser.
Et nous, nous restons là, dans notre boîte, un cri au bord des lèvres, mais eux sont partis, et nous sommes nus, encore plus qu'au premier jour, car même le cri s'en est allé avec eux.