L’AEDH ne peut que se féliciter de l’adoption pour les cinq prochaines années d’un Programme, en matière de « liberté, de sécurité et de justice », succédant à celui de la Haye. L’AEDH émet le souhait que l’on revienne à l’esprit du programme de Tampere de 1999, global et équilibré, le Programme de Haye ayant pris quant à lui délibérément une orientation sécuritaire et sectorielle où se sont mêlées jusqu’à l’amalgame sécurité, criminalité et immigration. Cela a conduit à un contenu législatif discriminatoire, souvent peu respectueux des droits fondamentaux. L’AEDH s’est exprimée à ce sujet à de nombreuses reprises dans ses communiqués et rapports.
Aussi l’AEDH ne peut-elle qu’accueillir favorablement la définition d’une nouvelle politique européenne, sous le nom de « Programme de Stockholm », qui soit plus globale et plus
horizontale pour les cinq prochaines années. Il y a là l’occasion d’infléchir résolument les politiques européennes pour que l’Europe des droits ne soit pas une simple déclaration d’intention
mais trouve une traduction concrète dans les faits pour l’ensemble de ceux qui vivent sur le territoire de l’Union européenne, y circulent, désirent venir y travailler, y demandent protection et
asile. : une Europe des droits exemplaire qui légitime la référence aux droits fondamentaux dans les relations qu’entretient l’Union européenne avec les pays tiers.
Concernant la communication de la Commission européenne du 10 juin 2009 « Un espace de liberté de sécurité et de justice au service des
citoyens » :
L’AEDH ne peut que se réjouir de la
référence aux droits fondamentaux et aux valeurs de l’Union telles que définies dans les traités et dans le futur traité de Lisbonne. Mais évoquer la Charte des droits fondamentaux et l’adhésion
de l’Union à la Convention européenne des droits de l’Homme ne doit pas être seulement symbolique. L’Union européenne doit aussi se donner les moyens de garantir que sa législation et ses actions
soient conformes aux droits fondamentaux. L’Agence des droits fondamentaux est citée comme ayant un rôle d’expertise. Elle peut et doit jouer un rôle en ce sens mais doit également aller au-delà
de l’expertise. Le contrôleur européen de la protection des données personnelles devrait voir ses avis mieux pris en compte et son rôle élargi. Plus généralement, il faut qu’une autorité
indépendante puisse donner un avis en matière de droits fondamentaux, a priori chaque fois que nécessaire sur les textes législatifs en cours d’élaboration et a posteriori sur leur application,
qu’elle puisse être saisie, dans les plus brefs délais, en cas d’atteinte aux droits fondamentaux par l’Union ellemême ou dans l’un de ses Etats membres.
Nous ne
pouvons qu’encourager le fait de « mettre la personne au centre de la construction de l’espace de liberté de justice et de sécurité » comme l’a déclaré le Vice président de la
Commission européenne [1], Monsieur Jacques Barrot, mais qui dit personne ne
dit pas seulement citoyen de l’Union. Ce sont toutes les personnes qui résident dans l’Union européenne qui doivent pouvoir « vivre dans une Union Européenne prospère et pacifique au sein de
laquelle leurs droits sont respectés et leur sécurité protégée » et non pas uniquement les citoyens. L’emploi du terme de citoyen est restrictif et discriminatoire à l’égard des 26,5
millions de ressortissants des pays tiers résidant dans l’Union (18.5 millions de façon régulière et 8 millions en situation irrégulière [2]). Les droits fondamentaux tels que les proclame la Déclaration universelle des droits de l’Homme sont universels, le terme de
citoyen ne devrait donc pas être employé, choix d’ailleurs fait pour la rédaction de la Charte des droits fondamentaux.
Plus largement concernant :
La libre circulation
Le plein exercice du droit à la libre circulation doit être effectif, au-delà des seules barrières linguistiques. Il doit concerner l’ensemble des résidents de
l’Union. Les restrictions à la libre circulation ne doivent pas en particulier prendre pour prétexte l’appartenance à une minorité, ou concerner des populations considérées comme apatrides alors
même qu’elles résident dans l’Union parfois depuis plusieurs générations. Ces dernières années, les populations Roms ont été les premières victimes de telles discriminations, et leur liberté de
circulation s’en est trouvée restreinte. Par ailleurs, les droits reconnus à des personnes dans un Etat membre doivent être reconnus dans les autres Etats où ces personnes s’installent. Il en va
en particulier de la reconnaissance des unions matrimoniales, y compris avec une personne du même sexe.
La lutte contre les discriminations, le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie et l’homophobie doit être « poursuivie avec détermination ». La nouvelle décision cadre sur le
racisme et la xénophobie doit être adoptée dans le sens préconisé par le Parlement européen. Il est essentiel que l’Union se dote de moyens efficaces et coercitifs afin de sanctionner les Etats
qui, de par leurs comportements ou par leur laissez-faire, contreviennent de fait aux principes auxquels ils ont adhéré.
La protection des données à caractère personnel et de la vie privée
Le rappel que les droits à la vie privé et à la protection des données à caractère personnel sont garantis par la Charte des droits fondamentaux et la volonté exprimée de mieux les garantir sont des aspects positifs. S’il est important de réaffirmer les principes de « finalité, proportionnalité et légitimité de traitement, durée limitée de conservation, sécurité et confidentialité, respect du droit des personnes et contrôle par une autorité indépendante », ils ne doivent pas être simplement un rappel mais doivent être au centre des législations, de la constitution de fichiers, de leur utilisation et des pratiques. Cela concerne en particulier les nombreux fichiers actuellement mis en oeuvre dans le cadre des contrôles des frontières ou de lutte contre le terrorisme et la criminalité.
L’interopérabilité des fichiers au niveau européen et leur utilisation doivent être soumis à un contrôle rigoureux par une autorité européenne indépendante. Il ne peut être laissé au seul soin des Etats membres la mise en oeuvre de la consultation des fichiers et leur contrôle. Les données biométriques ne doivent être utilisées que lorsque cela est nécessaire, de façon adéquate et proportionnée, et quand une finalité explicite, spécifiée et légitime a été démontrée par le législateur. L’utilisation des données ADN doit être très restrictive. Ces données ne doivent pouvoir être conservées que pour les condamnations les plus graves. L’interopérabilité entre fichiers de natures différentes ne doit pas être autorisée. Plus généralement, les fichiers ne doivent pas pouvoir être utilisés à des fins de profilage.
Les données collectées pour des finalités commerciales et par la suite conservées à des fins d’investigation policière devraient être utilisées par un système
« push » et non « pull » et doivent être strictement limitées, ainsi que leur conservation dans le temps.
L’échange de données personnelles avec les pays tiers exige un niveau adéquat de protection, au moins identique à celui exigé au sein de l’Union Européenne.
L’asile et l’immigration
L’AEDH prend acte des propositions de la Commission en matière d’asile et d’immigration. Elle observe que, dans ces deux domaines, l’approche retenue s’inscrit sur le long terme et dans une perspective de mise en oeuvre intégrée au sein des Etats membres. Ce faisant, on ne peut que regretter que le Programme ne marque pas de rupture avec les inflexions qui, ces dernières années, ont conduit à renforcer un esprit de repli, voire de défiance, des Etats membres à l’égard des migrants, contredisant l’objectif annoncé de leur assurer un traitement équitable sur l’ensemble du territoire de l’Union et une meilleure intégration au sein de nos sociétés.
Dans le domaine de l’asile, les mesures préconisées reprennent, pour l’essentiel, le projet de système d’asile commun (RAEC). Prenant acte des fortes disparités qui continuent d’exister
entre les pays membres et de l’inégalité de fait qui en résulte pour les personnes en recherche de protection, la Commission se limite le plus souvent à reconduire ou renforcer des mesures qui
visent à les compenser, tels que la création d’un Bureau européen d’appui (BEA) et le développement de la réinstallation. On peut particulièrement regretter que, au prétexte des résistances
opposées par nombre d’Etats membres et en dépit des inégalités de droit patentes qu’il induit, le système Dublin ne donne pas lieu à un projet de réforme profonde, voire à sa suppression. Dans ce
contexte, il y a urgence à formaliser le principe de reconnaissance mutuelle des décisions d’octroi de statut de protection. L’AEDH s’inquiète également des développements de la « dimension
extérieure » d’une politique d’asile dite « solidaire » avec les Etats tiers dont on peut redouter qu’elle serve un moindre investissement dans la mise en place d’un système
européen de protection internationale largement ouvert et de haut niveau.
S’agissant de l’immigration, l’AEDH regrette, une fois de plus, que le Programme de la Commission ait pour objectif de consolider les évolutions antérieures. Si l’on peut noter que, dans
sa défense d’une gestion plus intégrée des frontières, la Commission précise qu’elle doit « aller de pair avec le respect des droits de l’homme et de la protection internationale »,
force est de constater que c’est l’efficacité technique du système qui semble primer. A cet égard, on ne saurait cependant trop rappeler qu’il a apporté la démonstration qu’il ne pouvait, en
l’état, garantir le respect des droits des personnes vulnérables et en recherche de protection.
FRONTEX, agence du 1er pilier, doit respecter les droits fondamentaux des personnes recueillies ou interceptées en mer, elle doit intégrer dans son mandat le sauvetage des migrants et demandeurs d’asile en difficulté et en danger de mort ; elle doit respecter le principe de non-refoulement ; dans cet esprit, le développement d’un programme de formation des gardes frontières devrait faire partie des priorités immédiates.
Pour l’AEDH, une politique migratoire commune, digne des principes constitutifs de l’Union européenne et de la Charte des droits fondamentaux, doit s’attacher à promouvoir le droit de
vivre en famille et le respect des droits des ressortissants des pays tiers, sans discrimination. Ceci ne peut se fonder sur l’objectif principal d’une optimisation de l’immigration légale au
regard des fluctuations des besoins économiques de l’UE. En tout état de cause, le Programme de Stockholm se doit de marquer une rupture avec la tendance croissante à la criminalisation des
immigrés en situation irrégulière par leur placement en détention et des mesures de retour forcé. La lutte contre l’emploi illégal se trompe de cible lorsqu’elle traite en coupables ceux qui en
sont les premières victimes ; l’Union ne pourra tirer de bénéfices de l’immigration qu’en régularisant et intégrant ceux qui, depuis de longues années parfois, lui ont apporté force de
travail, compétences et donc une richesse tant sociale, qu’économique et culturelle.
L’espace judiciaire européen
L’AEDH ne peut que se féliciter de la volonté de créer un espace judiciaire européen et de rendre la justice accessible à tous. Mais ceci implique de cesser d’envisager cela uniquement sous ses aspects policier et de coordination des organes de poursuites. Il faut, en même temps, que les garanties des libertés individuelles soient assurées. On ne peut se contenter, sur ce point, d’une simple référence à la Convention Européenne des droits de l’Homme ou à la Charte des droits fondamentaux. C’est bien d’une harmonisation des incriminations et des garanties reconnues à la défense des individus dont nous avons besoin. C’est la raison pour laquelle, en l’état, l’AEDH a condamné le mandat d’arrêt européen. De la même manière, rendre la justice accessible à tous exige des moyens nouveaux et une volonté politique des Etats en ce sens.
Il demeure qu’il ne peut y avoir d’Europe de sécurité, sans garantie pour tous les résidents de conditions d’existence suffisantes. Il n’y a pas de sécurité sans cohésion sociale, elle nécessite une politique volontariste conduisant à une atténuation profonde des inégalités sociales et de la précarisation de la société. Les droits économiques et sociaux tels qu’inscrits dans la Charte des droits fondamentaux et dans les Conventions internationales doivent être au fondement de la cohésion sociale européenne. Comme cela a été proposé par des groupes politiques parlementaires, une « Déclaration sur le progrès social » devrait être mise en oeuvre et accompagner le Programme de Stockholm. Il ne saurait y avoir de sécurité sans progrès social en Europe, sans respect des droits, y compris économiques sociaux et culturels, et sans citoyenneté sociale.
Contact :
AEDH, Association Européenne pour la défense des Droits de l’Homme
33, rue de la Caserne. B-1000 Bruxelles
Tél. : +32(0)25112100 Fax : +32(0)25113200 Email : [email protected]
L’Association Européenne pour la Défense des Droits de l’Homme (AEDH) regroupe des ligues et associations de défense des droits de l’Homme des pays de l’Union
Européenne. Elle est membre associé de la Fédération internationale pour la défense des droits de l’Homme (FIDH).
Pour en savoir plus, consultez le site www.aedh.eu