La riposte de Frédéric Mitterrand
Publié le 09 octobre 2009 par Sylvainrakotoarison
Englué dans une sordide polémique, Frédéric Mitterrand a réussi son examen de passage. Il se dévoile comme un très habile homme
politique.
Le Ministre de la
Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand était l’invité du
journal de 20 heures sur TF1 ce jeudi 8 octobre 2009. Pour lui, c’était un passage obligé pour répondre à une
polémique qui gonflait comme une baudruche depuis quelques jours à propos de son livre "La Mauvaise Vie" publié en 2005.
Une polémique bien glauque
L’affaire a commencé avec les propos le 5 octobre 2009 de Marine Le Pen, vice-présidente du Front national, dans l’émission "Mots Croisés" sur
France 2, propos qui furent relayés par Benoît Hamon, porte-parole du Parti socialiste. Après une première
brèche ouverte par François Bayrou contre Daniel Cohn-Bendit le 4 juin 2009 (toujours à propos d’un bouquin, écrire va devenir dangereux), ce qui n’a pas valu au président du MoDem un succès fou aux élections européennes, le niveau du débat politique semble voler désormais bien bas.
Je n’ai pas eu d’étonnement sur la manière assez remarquable dont Frédéric Mitterrand a passé cette épreuve politique déterminante. Bon
communicateur malgré son absence d’expérience politique, je l’avais déjà remarqué le 21 juillet 2009 lors de son premier discours (préparé) à l’Assemblée Nationale à propos de la loi Hadopi 2
où il avait montré un ton très lyrique et emphatique (sur un sujet qu’il connaissait cependant peu).
Homme de lettres, assurément. Homme de théâtre, sans doute aussi. Fort du soutien du Premier Ministre François Fillon et du Président de la
République Nicolas Sarkozy qui l’avait reçu à l’Élysée le matin même, Frédéric Mitterrand a su trouver les mots pour convaincre.
Convaincre de quoi ? Que sa présence au gouvernement de la République n’est pas une honte.
Une opposition de dessous de ceinture
La polémique qu’il a tenté d’éteindre jeudi soir est d’autant plus étrange qu’en toute logique, elle aurait dû avoir lieu dès la publication de son
livre en 2005 (à l’époque, on avait même salué le courage de l’auteur, et Nicolas Sarkozy avait découvert en lui un homme d’une grande solidité) ou au moins, au moment de sa nomination au
gouvernement le 23 juin 2009. Car il n’y a rien eu de nouveau à ce sujet. Pourquoi ne découvre-t-on son livre que trois mois après ?
Mais c’est ainsi : les opposants au gouvernement actuel, aveuglés par les artefacts de l’actualité et les soubresauts de l’opinion publique,
préfèrent se laisser guider par la future chef de file de l’extrême droite plutôt que d’initier enfin un débat politique sain et novateur. Le Parti socialiste, avec son ambitieux Benoît Hamon,
a une fois encore perdu une occasion de se taire.
Homme de scène et d’émotion
Sur la forme, Frédéric Mitterrand n’a pas déçu. Théâtral donc, posé, clair, avec une voix forte, un ton ferme, il a sorti tout ce qu’il avait à
dire. Il a su jouer du regard avec son interlocutrice Laurence Ferrari pourtant tenace, loin de vouloir lâcher le morceau, un peu comme les yeux dans les yeux de son oncle François Mitterrand
lors de son débat du second tour avec Jacques Chirac le 28 avril 1988.
Il a aussi exprimé son émotion, à deux reprises. La première parce qu’il avait du mal à articuler et donc, il s’est arrêté pour dire à quel point à
ce plateau de télévision (pourquoi TF1 d’ailleurs ? pourquoi pas la télévision publique ? question d’audimat ?) il avait à défendre son honneur, celui de sa famille… et
finalement aussi celui du gouvernement dont la plupart des membres l’ont soutenu publiquement.
La seconde fois à la fin par de la colère en réaction à une question préparée à l’avance (sera-t-il présent à l’Assemblée Nationale en cas de
discussion d’un projet de loi contre le tourisme sexuel ?), question doublement ridicule, d’une part parce que cela signifiait que son interlocutrice ne l’avait pas écouté juste avant
(d’où la colère), mais aussi ridicule dans la mesure où le dispositif législatif existe déjà pour combattre le tourisme sexuel (mais de cela, Frédéric Mitterrand n’en a pas parlé, sans doute
trop focalisé sur sa propre personne).
Fermeté dans les valeurs morales
Sur le fond, Frédéric Mitterrand a dit tout ce qu’il fallait pour que le "pays" soit rassuré. Et il l’a dit de façon convaincante.
D’une part, il a affirmé nettement qu’il était contre le tourisme sexuel, qu’il le combattait avec la plus grande force comme tout citoyen sûr de
ses valeurs. Que les "échanges" tarifés étaient regrettables mais qu’ils étaient en substance constitutifs d’une face noire qui existe, d’une réalité. Sale.
D’autre part, il a démenti avoir eu des relations pédophiles et il a protesté contre tous ceux qui citaient son livre en y incluant de façon
inexacte l’expression « jeunes garçons » alors que selon lui, il
s’agissait d’hommes d’une quarantaine d’années, ou un peu moins, mais avec peu de différence d’âge par rapport à lui à l’époque (lire à cette occasion l’article sur Rue89 et les réactions). On ne pourra que se rallier à la version de l’auteur même
du livre, puisqu’il n’y a aucune raison d’interpréter les écrits d’un auteur autrement que par les explications de celui-ci.
Cerise sur le gâteau, Frédéric Mitterrand a reconnu avoir réagi sur le coup de l’émotion lors de l’arrestation de Roman Polanski le 26 septembre
2009 à Zurich et que sur le fond, son but était de dire que la France n’abandonnait pas ses artistes. Un aveu de réaction trop rapide et trop émotionnelle qu’avait également exprimé la veille
sur Public Sénat un candidat à la candidature socialiste à l’élection présidentielle de 2012, Pierre Moscovici (qui avait aussi condamné à cette occasion les attaques nauséeuses de Benoît Hamon
contre Frédéric Mitterrand).
Le "je" narratif est-il autobiographique ?
Concernant la réalité de la chose racontée, Frédéric Mitterrand a été moins convaincant quand il insistait pour dire que son livre n’était pas une
autobiographie mais le récit d’un homme qui a vécu des mauvais moments et que beaucoup d’hommes ont pu aussi vivre, mais la perspicacité de Laurence Ferrari a permis quand même de lui faire
reconnaître qu’il avait lui-même vécu ce qu’il avait décrit.
Fin du soubresaut ?
Alors, l’affaire Frédéric Mitterrand survenue après l’affaire Roman Polanski est-elle désormais close ?
Je l’espère.
Et j’espère que le débat public reprendra sur des bases saines, sur des critiques concernant l’action du gouvernement, mais pas sur des
considérations très en dessous de la ceinture.
Et pendant ce temps, il y en a une qui doit bien s’amuser d’avoir provoqué tout ce raffut… Pauvre démocratie française ! On a encore bien des
progrès à faire.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (9 octobre 2009)
Pour aller plus loin :
Frédéric Mitterrand
sur TF1 le 8 octobre 2009.
Les propos exacts écrits par Frédéric
Mitterrand sur Rue89 (7 octobre 2009).
Lire aussi sur Frédéric Mitterrand sur
Agoravox (8 octobre 2009).
Un précurseur du débat glauque.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-riposte-de-frederic-mitterrand-62912
http://www.lepost.fr/article/2009/10/09/1733298_la-riposte-de-frederic-mitterrand.html
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-77
http://www.centpapiers.com/la-riposte-de-frederic-mitterrand/10059/