Ce n'est peut être qu'un trait d'union

Publié le 08 octobre 2009 par Fric Frac Club

Évènement SF de la rentrée, gros machinchose attendu par toute une flopée de freaks myopes à front gras, portant des chemises Columbia à carreaux sur d'immondes t-shirts Ramones - mais pas que, suite de l'énor-mi-ssime Spin (prix Hugo 2006), Axis, du néo canadien Robert C. Wilson, débarque avec un superbe bandeau rouge en guise de cape magique &, entre nous, ça pourrait bien être tout bon ou tout mauvais.

L'histoire racontée ici se déroule 30 ans après celle de Spin. Le livre étant moucheté de flashback il n'est pas forcément nécessaire d'avoir lu Spin pour se coltiner Axis mais ! Mais... mais : 1) ça serait vraiment une grossière erreur tant le premier est une fabuleuse machine à délires qui est déjà sans doute devenu la dernière borne dans l'histoire de la SF & 2) on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Cependant, dans le cadre de cette chronique, une piqûre de rappel ne sera pas inutile. Spin s'ouvre sur un phénomène hallucinant qui servira de carburant au reste du livre : la disparition des étoiles. On apprend très vite qu'une espèce de membrane a recouvert la Terre & l'a, du même coup, enfermé dans une bulle temporelle qui avance au ralenti. Alors que des milliers d'années viennent de filer à l'extérieur seules quelques heures se sont péniblement écoulées sur Terre. Tout ce phénomène serait dû à une entité techno-transcendantale vivant dans les confins de l'univers, une sorte de système de machines conscientes & auto reproductibles que les hommes, dans une grande épiphanie douteuse, appellent Hypothétiques. Partant de ce qui ressemble fort à un handicape inquiétant les autorités décident d'envoyer une mission sur Mars en vue de coloniser la planète – le Terre étant susceptible de péter à n'importe quel moment toutes les idées sont bonnes à prendre. Le corpus infini de la SF mondiale regorge de scènes de terraformation plus ou moins réussies, mais jamais cela ne fut fait avec autant de vraisemblance que Wilson dans Spin. En tout cas, pas depuis Kim Stanley Robinson. Ces pages font partie des plus impressionnantes, des plus déstabilisantes qu'il m'est été donné de lire maisBREF ! Une civilisation martienne émerge donc & qui rattrape son retard technologique. Elle décide à son tour d'envoyer une mission diplomatique sur Terre. La mission est plutôt un échec (le représentant martien est tué lors d'un attentat & aucune solution n'est trouvée en ce qui concerne les spins, car Mars vient, elle aussi, d'être enfermée dans une membrane similaire) mais laisse aux terriens un remède qui permet d'allonger la vie de quelques dizaines d'années. Ce quatrième âge est l'une des épines dorsales d'Axis. La fin de Spin voit la disparition de la membrane remplacée par un immense arc dans l'océan indien. Cet arc, véritable star gate, ouvre le passage vers une autre planète « offerte » aux hommes par les Hypothétiques. Planète sur laquelle se déroule le dernier roman de Wilson.

Ça, c'est fait.

(Illustration : Manchu)

Nous voici donc 30 ans après. La nouvelle planète s'est développée, sa capitale, Port Magellan est une espèce de Babel interstellaire où toutes les nations se côtoient comme nulle part ailleurs. A l'instar de Spin, Axis s'ouvre sur une scène impressionnante. Il s'agit , ici, d'une pluie de poussière dans laquelle se trouvent des pièces de différentes sortes dans un état de dégradation avancée. L'idée que des restes d'Hypothétiques s'effondrent du ciel va déstabiliser le récit. Les Hypothétiques, véritable Graal narratif impalpable & qui seront le sujet & la conclusion de l'ultime volet de la trilogie (Vortex à paraître en fin d'année outre-Atlantique), restent le point de fuite de ce roman qui voit son action partagée en plusieurs personnages, pratiquement tous nouveaux. Il y a tout d'abord Lise Adams, qui est venue sur Equatoria afin de mener une enquête sur l'enlèvement présumé de son père. Turk, le magnifique looser, sympatoche comme pas deux qui sert de mode de transport à Lise & que l'on risque de retrouver dans certaines situations étranges. Il y a toute la communauté des Quatrième Ages qui se chamaillent pour savoir si l'on doit utiliser un enfant comme émetteur/récepteur afin de communiquer avec les Hypothétiques &, finalement, l'enfant émetteur/récepteur lui-même : le petit Isaac. Pour ceux qui ont raté les cours de catéchisme à l'école Isaac , fils d'Abraham, devait être sacrifié selon le désir de Dieu qui n'avait rien trouvé de mieux pour tester la foi d'Abraham - ça donne une vague idée de ce qui attend notre gamin. Tout ce beau monde sera, tour à tour, traqueurs, traqués, attaqués, acculés, déportés, recherchés, dispersés, tués dans d'horribles souffrances (pour certains, pour d'autres ça sera pire). Tous se dirigent, mais pas pour les mêmes raisons, vers le Grand Ouest du continent, là où les pluies de cendres sont les plus intenses & donnent naissance à un phénomène assez... psychédélique. Mêlé à tout ça, efficacement déposé en filigrane, on retrouve le mythe américain de le Nouvelle Frontière, réamorcé une fois de plus & qui ne semble jamais s'épuiser. Wilson ne donne même pas l'impression de vouloir effacer ses traces. Un continent vierge « colonisé » par des hommes arrivant par bateaux à Port Magellan comme les premiers puritains sur le Mayflower, un territoire à l'ouest, sauvage, dur à vivre, bigger than life & plein de pétrole... la manifest destiny est devenue un état d'âme interplanétaire & certainement que le 4 juillet sera bientôt férié dans tout l'univers... blah blah blah, ce pays ressemble fort aux États-Unis, avec ses mythes, ses rites & ses cowboys. Mais la question centrale, la voici : où sont les foutus indiens ?

Dire que Axis est un mauvais livre serait largement injuste tant Wilson maîtrise sa narration à la perfection, offrant un véritable plaisir de pure lecture. Cependant, la comparaison avec Spin est tout simplement fatale. Les deux livres ne jouent pas dans la même catégorie. Spin, monstre d'ambition, déployait une machine narrative hallucinante, prolifique, globale, qui touchait à l'universel & vous retournait le cerveau comme une crêpe. Les personnages étaient d'une profondeur & d'une complexité incroyables. Les idées que Wilson y développe sont toutes aussi folles les unes que les autres, les sujets infinis (manipulation génétique, terraformation réaliste d'une autre planète, conciliation d'intérêts nationaux divergents, place de la raison dans une science qui ne doute jamais etc etc...). Axis est tout l'inverse. Minimaliste, dépouillé, presque intimiste. Le monde a déjà été bouleversé tant de fois, la surprise est plus que passée &, dans une sorte de contradiction assez déstabilisante, le récit se concentre sur ses personnages tout en restant évasif. On passe du macro au micro, sauf que la lentille se brise assez vite & c'est dommage. Ainsi, la fin, sans être totalement foireuse, est représentative d'une certaine déception que les lecteurs les plus attentifs de l'oeuvre de Wilson pourraient ressentir en fermant le livre, assez en tout cas pour : 1) faire basculer leur système de notation de « Bien » à « A des qualités mais peut mieux faire » & 2) leur faire comprendre qu'il ne s'agissait peut être que d'ouvrir la voie au très attendu Vortex. Il me semble que c'était là toute la mission de ce livre : faire le trait d'union entre deux chef-d'œuvres. On l'espère...