S'appuient-t-elles sur une décision de justice ? Non pas. L'affiche est parfaitement légale. Mais ces villes décident arbitrairement ce que leurs citoyens ont le droit d'avoir sous les yeux ou non. Toujours le même réflexe de les considérer comme des incapables de juger par eux-mêmes. Le peuple est souverain, mais il faut l'éclairer, si besoin par la contrainte. Les villes s'arrogent le droit d'agir pour leur bien, sans discussion.
Elles s'appuient en fait sur un avis de la Commission fédérale contre le racisme, qu'elles ont consultée, avis communiqué hier (ici) et selon lequel cette campagne d'affichage pourrait menacer la paix publique, sans indiquer d'ailleurs comment.
J'en reproduis le chapeau qui en est le résumé :
Dans sa prise de position à l’attention des villes, la Commission fédérale contre le
racisme (CFR) parvient à la conclusion que les affiches des auteurs de l’initiative « contre la construction de minarets » esquissent à propos de l'Islam un scénario catastrophe qui dénigre la
population musulmane pacifique de Suisse. La CFR estime que cela pourrait menacer la cohésion sociale et la paix publique. Elle préconise de procéder à une pesée minutieuse des intérêts entre la
liberté d’opinion, la protection contre la discrimination et la protection de la société suisse contre une agitation qui favorise de haine.
Que représente donc cette affiche, qui pourrait, dit la commission, menacer la paix publique ? Un drapeau suisse, symbole du territoire national, sur lequel sont érigés des
minarets dont la forme est on ne peut plus authentique [voir photo ci-dessous du minaret de la mosquée du roi Husssein à Amman, en Jordanie, tirée du
site raingod.com ici]. La femme en burqa, allusion
directe à l'Islam, lève le dernier doute que le spectateur pourrait avoir sur le fait qu'il s'agit bien de minarets et non pas d'autre chose. Au nombre de 7, ils donnent
l'impression d'être en grand nombre, vu la dimension de la croix blanche sur fond rouge. Le message est clair, et conforme à l'initiative : il faut arrêter la multiplication des
constructions de minarets.
Cette commission consultative, qui a donné cet avis téléphoné, est nommée par le Conseil
fédéral et ne peut qu'en être le reflet, même si les 15 membres qui la composent sont vraisemblablement tout à fait honorables. Or le Conseil fédéral, au moment où il
a réduit le nombre de membres de cette commission à 15, le 12 septembre 2007, était composé de six membres sur sept hostiles à l'UDC, considéré systématiquement, pour le diaboliser, comme un
parti raciste, au mieux xénophobe, par la quasi-totalité de la classe politique et des médias.
Il ne fallait donc pas s'attendre à ce que la commission bénisse l'affiche de l'UDC et fasse prévaloir la liberté d'expression sur ce qu'il est convenu d'appeler l'obligation
de non-discrimination, inscrite dans la Constitution.
Thierry Meyer dans 24 Heures d'hier (ici) écrit à propos de l'interdiction :
L’affiche de l’UDC tord les valeurs que défend la Constitution
suisse. Mais l’interdiction doit être réservée à des cas où la justice a tranché. L’interprétation politique ne suffit pas. Car alors l’interdiction, toute expression du pouvoir qu’elle est,
devient l’arme des faibles. Ce n’est pas elle qui gagnera la bataille de l’initiative contre les minarets. Ses adversaires devront la combattre avec des arguments, et un engagement fort sur le
terrain.
Petite remarque en passant, si cette affiche véritablement tord les valeurs que défend la Constitution suisse, comment se fait-il que personne n'ait porté plainte pour la faire interdire par la justice ?
Pascal Décaillet, pourtant très hostile à
l'initiative, et encore plus à l'affiche, dans une chronique publiée aujourd'hui dans la Tribune de Genève (ici) ne dit pas autre chose sur l'interdiction :
Quelles affiches doit-on censurer ? Celles qui, tout simplement, sont illégales. La
loi doit être le seul critère. La loi, pas la morale. La loi, pas le consensus de la pensée dominante. Si l’affiche est légale, même infâme, qu’elle se voie. Qu’on en décortique les signes, en
public. Mais, désolé, l’interdire, c’est entrer totalement dans le jeu de ses auteurs. Ils sont déjà assez malins comme cela, sans qu’on leur fasse cette fleur.
De fait cette initiative pour l'interdiction des minarets ouvre le débat sur l'Islam en
Suisse.
Les musulmans de Suisse (ici) sont en nombre toujours plus grands, sans peser
autant qu'en France - environ 5 millions sur une population totale de 64 millions - ou qu'en Allemagne - 3 millions sur une population totale de 82 millions. 16'000 en 1970, ils étaient
57'000 en 1980, 152'000 en 1990 et plus de 310'000 en 2000, soit 4,26% de la population helvétique de cette dernière année. Aujourd'hui ? Je n'ai pas trouvé de chiffre récent sur le
site de l'Office fédéral de la statistique.
Il y a, à ce jour, 160 mosquées en Suisse et quatre
minarets au total. Il n'y en avait que deux jusqu'à récemment, à Genève et à Zürich. Puis deux ont été construits ces dernières années à Wangen et à Winterthur. Un cinquième devrait être
construit prochainement à Langenthal. Ces 4 ou 5 minarets sont purement décoratifs, puisqu'ils ne servent pas à l'appel à la prière. Ils sont non seulement décoratifs, mais aussi
symboliques. De quoi ?
Selon Oskar Freysinger, membre du comité d'initiative (ici) :
Nous ne nous attaquons nullement à la pratique religieuse, car le
minaret n'est pas nécessaire à cette pratique. Mais à nos yeux, le minaret est très clairement le symbole d'un islam politique qui essaie gentiment de prendre sa place en Europe et en
Suisse.
Le député vert Antonio Hodgers, opposé à l'initiative, répond (ici) :
Est-ce que les clochers sont un symbole politique du catholicisme?
Je ne le crois pas. C'est juste de l'architecture qui donne un symbolisme religieux au bâtiment, qu'il s'agisse d'un clocher ou d'un minaret.
Alors symbole religieux ou symbole politique de
domination - islam signifie soumission ? C'est toute la question, c'est le vrai débat.
Dans un article publié par l'Institut Religioscope (ici), Jean-François Mayer, confirme que :
Contrairement à ce que l'on pense souvent, le minaret n'a pas
toujours et partout accompagné les mosquées.
Mais il ne tranche pas la question de savoir si le minaret, symbole indéniable de l'Islam, est un symbole religieux ou politique. Or il est certain que, dans l'Islam, religieux et
politique sont étroitement liés. Dans les pays où les musulmans sont largement majoritaires, c'est la Charia qui s'impose à tous et qui recouvre les trois domaines du
politique, de la foi et des commandements. Il est non moins certain que dans les pays où ils sont largement minoritaires, les musulmans sont dans l'ensemble plus modérés que radicaux,
peut-être justement parce qu'ils sont minoritaires. Il ne faut pas oublier toutefois que la démographie joue en leur faveur à long terme. Du moins à l'heure actuelle.
Ce qui pourrait faire pencher la balance en faveur du symbole politique agressif que serait le minaret, c'est la parole d'un expert cité dans le flyer des initiants (ici). Alors qu'il était encore maire d'Istanbul, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, ne déclarait-il pas, en
1997 :
Notre démocratie est uniquement le train dans lequel nous montons jusqu'à ce que
nous ayons atteint notre objectif. Les mosquées sont nos casernes, les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques et les croyants nos soldats.
Francis Richard