France Info a rendu public ce matin la polémique sur les conséquences de la délocalisation de la fabrication des uniformes de l’armée française dans une usine du Sri Lanka. Après le scandale provoqué par la délocalisation de la fabrication de la munition du Famas, cette seconde affaire donne une dimension encore un peu plus forte à l’irresponsabilité de la prise de décision de certains politiques dans l’économie de la Défense. En dénonçant le non respect des droits humains dans une usine fabricant des uniformes pour l’armée française au Sri Lanka, le collectif de 44 ONG, auteur de cette attaque informationnelle, relance le débat sur la finalité de l’action politique en matière de délocalisation.
Sous le prétexte de faire des économies, un Ministre de la Défense, dont il va bientôt falloir faire le bilan précis de sa politique dans le domaine, a pris la décision de fermer des sites de production installés sur le territoire français en soulignant leur non rentabilité. Cette décision a généré pour l’instant deux crises informationnelles que le cabinet du Ministre de la Défense tente de circonscrire tant bien que mal. La première dont nous avons déjà parlé sur le site Infoguerre est celle des incidents de tir et de la perte d’efficacité de l’arme individuelle du soldat français (le Famas ) provoqués par l’externalisation de la commande de munitions à des firmes étrangères qui n’ont pas respecté les normes techniques spécifiques à la munition du Famas. La seconde crise informationnelle porte sur la violation des libertés syndicales et sur les très mauvaises conditions de travail des femmes de l’usine GP Garments. La radio France Info précisait ce matin que cette usine était désormais boycottée par les entreprises occidentales et que seule l’armée française maintenait ses contrats avec elle.
Rappel des faits
Depuis 2005, un conflit de travail très grave se déroule dans la zone franche de Biyagama dans une unité de production de l’entreprise GP Garments. Il s’agit d’une entreprise peu connue, son président est Geert Derere qui est également directeur général de Dress Confect à Oedelem. Cette entreprise possède deux autres usines au Sri Lanka et une usine en Chine. Les usines de Sri Lanka occupent 1500 travailleurs, principalement des femmes.
Début 2005, GP Garments a annoncé unilatéralement une restructuration et a refusé toute concertation avec les syndicats. La direction n’a pas hésité à intimider le syndicat. Tous les travailleurs ont reçu une lettre du siège principal situé en Belgique les accusant de mauvaise conduite et de ne pas être assez productifs. Lorsque le syndicat a protesté, l’entreprise a menacé de fermer tout simplement l’usine, et a engagé un manager – qui est également directeur des ressources humaines dans l’autre usine de GP Garments à Seethawaka – réputé pour ses positions antisyndicales. Il a déclaré avoir 100 000 dollars à sa disposition pour se débarrasser du syndicat. GP Garments a poursuivi la restructuration de l’usine, 518 travailleurs, tous membres du syndicat, ont été licenciés. L’entreprise recrute systématiquement de nouveaux travailleurs, non syndiqués.
L’ITGLWF (Syndicat international du textile) a déposé en juin 2005 un dossier auprès du point de contact national de l’OCDE en Belgique qui est rattaché au ministère de l’Economie et qui a une mission de médiation. Siègent dans ce point de contact, outre les employeurs et les pouvoirs publics, les syndicats. La FGTB et la CSC s’efforcent de défendre au mieux les intérêts des travailleurs de GP Garments. Au Sri Lanka, le tribunal tarde à se prononcer dans deux affaires introduites par le syndicat contre le licenciement des travailleurs.
Cette entreprise fabrique entre autres des uniformes pour l’armée française qui continue d’acheter des uniformes à GP Garments. La campagne française a envoyé une lettre à 80 députés siégeant dans la Commission de la défense. Le ministère de la Défense a ensuite envoyé une lettre à l’ambassadeur de France au Sri Lanka et à M. Derere de la direction belge, demandant des explications.
Documentation
Ci-jointe la lettre envoyée en juin 2006 à Guy Tessier, Président de la Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées à l’Assemblée nationale.
« Paris, le 18/06/2006
Objet : Non respect des droits humains dans une usine fabricant des uniformes pour l’armée française au Sri Lanka
Monsieur,
Le Collectif de l’éthique sur l’étiquette regroupe 44 ONG, syndicats et mouvements de consommateurs qui agissent en faveur du respect des droits de l’Homme au travail dans le monde, notamment dans la filière textile. Son Comité de Pilotage est animé par le Comité Catholique de lutte contre la Faim et pour le Développement (CCFD), la Confédération Consommation, Logement et Cadre de Vie (CLCV), la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT), la Fédération Artisans du Monde, l’Association Léo Lagrange pour la Défense des Consommateurs, et Peuples Solidaires. Le Collectif de l’éthique sur l’étiquette promeut la responsabilité sociale des entreprises et les achats éthiques des institutions et des collectivités locales. Il est régulièrement informé par ses partenaires internationaux de situations alarmantes au sujet desquelles entreprises et acheteurs publics ont un rôle à jouer. En décembre 2005, le Collectif a reçu la visite d’Anton Marcus, représentant le syndicat Free Trade Zone and General Services Employees Union (FTZ & GSEU) au Sri Lanka. Cette organisation, qui défend les droits des travailleurs du textile, et notamment ceux des femmes, est un partenaire de longue date de notre réseau. Anton Marcus a porté à notre connaissance les événements survenus au Sri Lanka dans l’usine GP Garment, laquelleproduit des uniformes pour l’armée française. Cette entreprise s’est illustrée par de graves violations de la liberté syndicale, en contradiction avec les Conventions n° 87 et 98 de l’Organisation internationale du travail (OIT). En tant qu’acheteur principal de cette usine, le Ministère de la défense peut intervenir et exiger de son fournisseur qu’il respecte les droits de ses salariés, et – en l’espèce – qu’il réintègre les ouvriers et ouvrières licenciés en raison de leur engagement syndical. Le Ministère a été informé et interpellé par de nombreuses organisations parmi lesquelles la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l’habillement et du cuir (FITTHC), la Clean Clothes Campaign, notre réseau européen. Des milliers de citoyens ont même écrit au Ministère1 tandis qu’en interne, des fonctionnaires représentés par la CFDT-FEAE se sont émus de la situation. Cependant, l’entreprise GP Garment refuse toujours de régulariser la situation en réintégrant les syndicalistes licenciés de manière discriminatoire et les informations que nous transmettent nos correspondants sri-lankais sont inquiétantes. D’autre part, à ce jour, nous n’avons reçu aucune assurance de son intervention de la part du Ministère. Le 6 décembre 2005 (séance de 16h30), les membres de la Commission Défense ont été brièvement informés de ces événements par M. Jean-Jacques MANACH, Secrétaire Général de la CFDT-FEAE. Nous nous permettons aujourd’hui de demander votre intervention, par le biais d’une question au gouvernement, sur cette situation. Nous souhaitons savoir si le Ministère est intervenu sur ce dossier et sinon l’encourager à le faire
Vous trouverez ci-joint le communiqué de Presse de la FITTHC ainsi que le document que nous avons rendu public en février 2006 sur ce dossier.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur, nos salutations distinguées.
Jean-Paul Arpi Jean-Jacques MANACH
Collectif de l’Ethique sur l’étiquette CFDT-FEAE
Suivi des Appels urgents Secrétaire Général
Note : 1 Une campagne publique a été lancée dans le cadre de notre Collectif. »