Lydia Lunch & Philippe Petit

Publié le 08 octobre 2009 par Lbc

A l’occasion de la septième édition du festival nordiste Mon Inouïe Symphonie, nous avons eu le privilège de rencontrer la moitié française du duo. Leur premier album, Twist of Fate, est aussi prenant qu’il est violent lorsqu’il est exécuté sur scène. Philippe Petit semble torturer ses platines qu’il nourrit par exemple de pages de magazines quand il ne s’affaire pas à limer un couteau de cuisine sur un large coquillage. Évidemment, cette immense dame de la musique qu’est Lydia Lunch (Teenage Jesus And The Jerks) maîtrise incroyablement l’espace, accrochant du regard quelques malheureux du premier rang vite inconfortables tandis que clameurs et vociférations rendent compte de la révolte ou du trouble évoqués dans les textes.On ne peut que vous encourager à voir et écouter par vous-mêmes lors de leur prochain passage le 30 octobre au Cabaret Aléatoire à Marseille.

Le Bar Cult. : Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Philippe Petit : J’écoute ce que fait Lydia depuis le début des années 80. Avant j’avais des labels un peu plus noisy, un qui s’appelait Pandemonium, j’ai pu rencontrer pas mal de gens grâce à ça… Je faisais un peu de radio, j’écrivais pour des fanzines et des magazines et comme ça tu rencontres des groupes. On s’était vu avec Lydia quand elle était venue jouer à Marseille et on a sympathisé. Plus récemment on s’est retrouvé, parce que j’ai un groupe qui s’appelle Strings of Consciousness et on a fait un premier album sur lequel on est à peu près 17 musiciens à jouer, c’est un collectif, et on a un chanteur par morceau. Y avait le chanteur de Girls Against Boys, y avait Jim Thirlrwell « Foetus » qui a longtemps été avec Lydia Lunch en tant qu’amant, y avait Eugène d’Oxbow… Bref, tout un tas de gens qu’elle connaît. L’idée était donc de faire un album avec que des chanteurs masculins et quand est venu le moment de bosser sur le second album, j’avais envie de demander à des femmes aussi, pour changer. Bien sûr, j’ai envoyé le disque à Lydia qui a adoré. Je lui ai dit « voilà, si tu veux chanter avec Strings of Consciousness ça serait super bien ». Elle m’a dit « okay, je veux faire ça », c’est ainsi que ça a commencé.


Ensuite, j’ai fait un disque chez un label maintenant qui s’appelle Bip Hop, qui s’attache à diffuser des musiques électroniques expérimentales plutôt d’écoute. Pour les dix ans de ce label, on a fait un disque donné avec Wire Magazine. Sur ce disque, je voulais demander à des gens que j’aimais bien de collaborer. Pour une de ces collaborations, j’ai dit à Lydia « si tu veux on fait un morceau ensemble », elle m’a dit « bah ouais allons y ». Donc, je lui ai envoyé la bande-son, le lendemain j’avais la voix. Je l’ai mixé, le lendemain elle avait le résultat, elle m’a dit « wouah c’est super ». Très bien.
J’ai été invité à faire un morceau sur une autre compilation pour un magazine qui s’appelle Antibothis qui documente les scènes post-industrielles. Ce sont des bouquins avec un cd donné à l’intérieur. J’ai dit à Lydia « maintenant qu’on a fait un morceau, tu veux qu’on en fasse un autre pour ça ? ». Elle m’a dit : « Ouais, pourquoi pas, envoie la musique ». J’ai envoyé la musique ! Le lendemain j’avais la partie vocale, je l’ai mixé, je l’ai envoyé. Elle m’a dit « Wouah, c’est bien, très bien ». Parfait. Je lui ai envoyé un message « mais, on a plus de 10 minutes de musique, on essaye d’aller un peu plus loin si tu veux ». Elle m’a dit :  « Ecoute, on est en juillet, il y a à peu près rien à faire, personne répond aux mails. Pour le moment c’est les vacances, donc ouais j’ai du temps. Allons-y ! Envoie des morceaux, si j’aime, on fait ». J’ai envoyé des morceaux, elle a aimé, on a fait. On a fait un album, on l’a laissé reposer pour voir comment ça vieillit. Quelques mois après, en décembre dernier, on était toujours content de ce disque. Je lui dis : « Si tu veux on essaye d’aller en scène ensemble, je fais des platines, la bande-son et tu chantes », elle m’a dit : « Ouais, pourquoi pas ».

LBC. : Donc pour le processus de création des chansons, c’est d’abord toi pour la partie musicale et c’est elle qui se charge des paroles ?

Philippe Petit : Oui bien sûr. Tous les gens à qui je demande, je leur demande parce qu’ils savent écrire un texte et ils ont une voix ou une attitude très particulière. Ce sont des gens qui ont une forte présence, un fort caractère. Lydia est vraiment la femme qui écrit les textes les plus engagés et intéressants en même temps. Bien sûr c’est elle qui s’occupe des textes. Mais elle ne fait pas que les textes. Elle peut me dire « là tu vois ce morceau il est trop long » et elle va le couper. Si c’est un morceau de 6 minutes, elle va me le renvoyer à 4 minutes il est arrêté. Elle a fait un cut très trash. À moi de retravailler tout ça bien sûr avec l’idée « ok ça doit faire 4 minutes ». Et là son texte rentre bien… Elle va aussi jouer de la musique sur certains morceaux…

LBC. : C’est étonnant à quel point c’est fusionnel en fait.

Philippe Petit : Ouais, surtout quand tu penses que c’est fait par Internet.

LBC. : Quand tu écris la musique, tu ne penses pas forcément à Lydia Lunch ? D’abord, tu crées ton univers et il se trouve que Lydia Lunch colle à cet univers-là ?

Philippe Petit : En fait les deux premiers morceaux, l’embryon du projet, ont été fait comme tu as dit. Par contre le reste, quand elle m’a dit « vas-y envoie et on voit ». J’ai vu ce qu’on avait déjà de fait, je me suis dit qu’il faut travailler quelque chose qui aille autour et qui aille bien avec, et qui colle à elle aussi. J’ai vu ce qu’elle aimait donc j’ai vraiment essayé d’aller vers elle. C’est vraiment un échange.

LBC. : Comment avez-vous réfléchis au passage sur scène ?

Philippe Petit : On aime être surpris. Ce n’est jamais la même chose chaque soir. Cela ne fait que 6 fois que nous jouons ensemble et toujours avec au moins un mois d’écart entre chaque date. Chaque fois c’est une nouvelle surprise et pour elle, et pour moi. Je lui avais dit bien sûr « on va réfléchir à un concert donc on va peut-être jouer tel morceau et tel autre… » puis elle m’a dit « non celui-là ça marche pas… ». Elle-même m’a envoyé d’autres morceaux qu’elle avait, des choses qu’elle avait déjà fait solo. Elle m’a dit « écoute, reprends un peu ça avec tes sons et on essaye d’en faire quelque chose qui est à nous ». C’est vraiment un échange. C’est très important ce terme-là, c’est un échange entre personnes qui se respectent, qui s’apprécient et qui sont passionées.

LBC. : Du coup vous avez aussi pensé à l’aspect visuel ?

Philippe Petit : Absolument. Lydia, au moment où il était décidé d’aller sur scène, a commencé à préparer une bande vidéo. Elle fait des texte et des livres mais aussi des images. Ces images travaillées sur Photoshop sont ce que l’on voit derrière nous. Pour elle c’était super important. « Cocoon », son mot, il faut prendre le public dans notre cocon. Donc on monte un univers et tu rentres dedans ou pas, peu importe. Pour elle, c’est important dans le visuel et les textes. Pour moi, quand je fais une bande-son, j’essaye de donner une histoire, avec un début et une fin. Aux gens d’écrire leur histoire selon ce qu’ils ressentent entre.

LBC. : La musique et la voix donnent un ressenti de menace, de mauvais présage. Du coup ce « twist of fate », c’est forcément pour du mauvais ?

Philippe Petit : Je pense que si Lydia était là, elle aurait une réponse assez dure. Elle est très engagée politiquement et elle ne voit vraiment rien de bien se profiler à l’horizon. Surtout pas, elle l’appelle comme ça, le « beige puppet », la marionette beige qu’est Obama en qui elle ne croit pas du tout. Vu de là où il vient, qui est cette école de Chicago où ils ont tous été façonnés et d’où est partie la crise que l’on est en train de vivre. Je suis quelque part assez d’accord avec ça dans le sens où je ne pense pas que la société évolue en bien, je pense pas que l’être humain évolue en bien. Mais, je crois sincèrement qu’il y a des gens biens, intéressants, qui veulent et essayent d’aller contre ce courant. J’ai une sorte d’optimisme grâce à ça mais je suis pas certain que le ‘vrai’ monde, celui qu’il y a autour de moi évolue de façon correcte, si je peux dire. Je suis dans un monde très à part, Lydia aussi en fait. On fait pas partie de cette société, on a créé notre univers à nous donc on est pas touché par tout ça. Malheureusement c’est autour de nous. Y a pas si longtemps, j’étais dans une pharmacie pour acheter des vitamines. Y avait une queue et une grand-mère, face au comptoir qui donnait son ordonnance et donc le gars lui sort tous ses médicaments e lui dit « bah voilà, ça fait 4 euros ». Elle lui dit « mais je n’ai jamais payé » et il lui dit « non mais maitenant ça fait 4 euros ». Elle répond « mais ça fait 20 ans que j’ai la même ordonnance et c’était toujours rien ». Il dit « oui mais maintenant le gouvernement a voté des lois qui font que certains médicaments ne sont plus remboursés ou ne sont remboursés qu’à 70 % ». Elle s’est mise à pleurer et lui a dit « mais vous savez moi je n’ai que 200 euros par mois, je peux pas payer » parce qu’évidemment elle doit revenir la semaine d’après et tout ça. Donc ça fait 16 euros sur un mois mais pour une personne qui a 200 euros de retraite, c’est énorme. Ça, toi t’es derrière et t’as envie de pleurer parce que ça te brise le coeur. Et ça c’est Sarkozy et ses cohortes… Le problème c’est que c’est Sarkozy chez nous mais que ça se passe ailleurs, et depuis très longtemps. J’ai eu la chance de jouer dans pas mal d’endroits. Par exemple Lisbonne, tu vois des gens qui sont pliés, qui ont plus de dents, parce qu’ils ont pas pu se faire soigner, parce qu’ils avaient pas de couverture sociale. En Amérique, il y en a des tas. En Amérique, il y a 30 millions de gens qui sont en dessous du seuil de pauvreté et je sais pas combien de SDF, Lydia pourrait te dire. C’est dramatique.

LBC. : Je sais pas si c’est un thème mais on ressent la nuit quand on vous écoute. Est-ce que la nuit constitue un refuge ou plutôt un symbole de cette menace ?

Philippe Petit : Pas une menace. C’est beau la nuit. J’aime le noir. Bien avant de rencontrer Lydia, quand j’étais plus jeune dans les années 80, je l’écoutais avec d’autres en éteignant les lumières. Parce que c’était bien dans le noir, tu peux te concentrer vraiment sur la musique, il y a pas autre chose qui te distrait. J’ai toujours aimé le noir et la nuit, vivre la nuit.

LBC. : C’est plus personnel que symbolique en fait ?

Philippe Petit : Après, clairement, notre musique est sombre. Elle est dark, très engagée politiquement, ce qu’elle raconte n’est pas forcément très gai mais en même temps, c’est la vérité. Y a pas de nuit et de jour, la vie c’est pas blanc contre noir.

LBC. : À quoi peut-on s’attendre en 2010, d’autres concerts, d’autres projets ?

Philippe Petit : Oui d’autres concerts bien sûr, on a beaucoup de plaisir à aller en scène ensemble. Lydia fait aussi beaucoup de choses elle-même. Elle joue, avec les gens de Gallon Drunk en backing band, dans un groupe qui s’appelle Big Sexy Noise qui est super, beaucoup plus rock que ce qu’on fait. On cherche un label, Twist of Fate va sortir et une fois qu’il sera sorti, ça sera classé, on en fera probablement un autre. En tout cas j’ai déjà de mon côté, commencé à composer des morceaux, lui proposer, pour aller plus loin. On a déjà fait un nouveau morceau en fait qui n’est pas sur ce disque, qui va être sur une compilation. De toute façon c’est un projet qui va continuer pour sûr.

Entretien effectué par Maéva T., à Dunkerque, le 18/09/09. Photos : Festival Electron Genève 04/09.