J’ai eu maintes fois l’occasion (1) (2) de vous dire que mon enfance a été bercée par les aventures du "Petit Nicolas" imaginées par René Goscigny et illustrées par Jean-Jacques Sempé à partir de 1959.
En 1981 j’ai découvert ce monde merveilleux et comme des millions de jeunes gens avant moi, cet univers si particulier fait d’une douce innocence et dune bienheureuse nostalgie a exercé une influence incontestable sur ma personnalité.
A intervalles réguliers j’ai eu le besoin de me replonger dans l’univers de Nicolas et de ses copains, du bouillon, de la maîtresse, de Monsieur Blédur, de Monsieur Moucheboume et consorts.
D’une certaine manière je peux dire que la joyeuse bande, au même titre que "Le club des cinq" et "Les six compagnons", n’a jamais quitté mon cœur d’enfant.
Quand j’ai appris qu’une adaptation sur grand écran était prévue pour la rentrée 2009, je me suis dit que la tâche de transposition serait gigantesque et périlleuse. J’avais plein de doutes en tête.
Je me suis rendu à la projection avec circonspection.
Aujourd’hui je peux vous affirmer que "Le petit Nicolas" de Laurent Tirard est un long métrage réussi. Avec brio il met en scène LE film que les spectateurs appelaient de leurs voeux sur un canevas brodé il y a 50 ans par un auteur de génie et brillamment illustré par un poète des images.
"Le Petit Nicolas" est avant tout un long métrage familial, rassembleur, un pur divertissement universel. Chaque spectateur y trouvera son compte.
Nicolas (Maxime Godart) vit dans sa bulle d’innocence avec son papa (Kad Merad) et sa maman (Valérie Lemercier). A l’école il a une chouette bande de copains et une institutrice (Sandrine Kiberlain) attachante.
Mais Nicolas voit son monde basculer le jour où il interprète de travers une conversation à son domicile : il pense que ses parents vont avoir un autre enfant et qu’ils vont l’abandonner en forêt comme le petit poucet. Le garçonnet réagit et met à contribution sa bande d’amis.
Dans le même temps le papa de Nicolas souhaite obtenir une augmentation à son travail. Pour se faire il décide d’inviter son patron, le sévère Monsieur Moucheboume (Daniel Prévost), à dîner. L’entreprise s’avère compliquée car la maman de Nicolas complexe sur sa situation matérielle et intellectuelle.
Le long métrage de Laurent Tirard est réussi car il nous propose une histoire passionnante qui en fait se dédouble en deux intrigues qui se mêlent avec soin. Les interrogations sur l’arrivée d’un bébé dans la famille et les aspirations professionnelles du papa de Nicolas rythment le film d’un bout à l’autre. Jamais l’action ne faiblit et mille péripéties donnent au long métrage un incroyable tonus.
L’ouverture du film est brillante. Cette façon de présenter les principaux personnages est concise et fait mouche. Les enfants et les adultes, tels des dessins, sont croqués en quelques coups de crayon. Plus besoin de revenir sur la personnalité et les aspirations des uns et des autres. Les traits essentiels sont marqués avec force et restent présents pendant l'une et demie que dure l’œuvre.
Le scénario est fin, diablement précis. Chaque scène, à un moment ou à un autre, met en valeur l’un des personnages. Enfant ou adulte, n'importe quel protagoniste a son quart d’heure de gloire.
Laurent Tirard et ses scénaristes ont su éviter avec soin deux écueils majeurs. Le film ne se contente pas de transposer mécaniquement l’univers du duo Goscigny/Sempé. Le long métrage prend de la distance avec le matériau d’origine et sait se rendre original au sens premier du terme à de nombreuses reprises.
L’autre réussite, qui découle de la première, est que le metteur en scène a su faire des choix. "Le Petit Nicolas" ne ressemble pas à une collection, à un empilement d’historiettes. Cette manière d’envisager les choses aurait été insensée et forcément destructrice.
Bien sûr les clins d’œil sont nombreux (la télévision, "ce qu’aurait fait papa s’il n’avait pas rencontré maman", les "assis/debout" de la maîtresse et du directeur, le terrain vague et le mot de passe…) mais la double intrigue sert de catalyseur et de fil conducteur.
Laurent Tirard met en scène l’esprit du monde de Nicolas, pas les centaines de récits qui jalonnent l’intégralité de l’œuvre. Et il y a certainement de la matière pour au moins un autre long métrage.
Une ligne directrice aussi claire permet à Laurent Tirard de nous régaler, de nous divertir sans excès. Les gags sont nombreux. Des moments les plus explicites aux situations les plus fines, nous rions de bon cœur. Certains passages (la poésie finlandaise) sont tout bonnement tordants. La bande d’enfants en fait voir des vertes et des pas mûres aux adultes.
Le spectateur, béat d’étonnement, trouve cette bande de gosses turbulents sacrément attachante. Des enfants unies par l’amitié mais qui se chamaillent sans cesse sous l’œil d’une institutrice que nous aurions toutes et tous rêvé de rencontrer au cours de notre parcours scolaire.
Laurent Tirard est inventif (le costume d’Agnan le cafard, le caméo de "Clément Mathieu") dans son appropriation de l’univers de Nicolas. Au final il s’avère que son travail a sa propre existence et une autonomie certaine. Le film rend hommage de façon intelligente à des créations littéraires sans en dénaturer le propos.
La douce innocence, une nostalgie bienfaitrice se retrouvent à l’écran. Le metteur en scène arrive à traduire visuellement ce genre de sentiments. C’est comme si le spectateur était plongé dans un bain de bonheur.
L’un des attraits du film réside dans la qualité de ses dialogues. Le long métrage comporte de très nombreuses répliques qui font leur effet. Les échanges sont savoureusement orchestrés (les réparties entre le père et la mère de Nicolas, qui tiennent une place prépondérante à l’écrit, trouvent une place naturelle dans le film). L’ensemble fonctionne à merveille selon un tempo bien étudié.
Mais l’essentiel du long métrage tient à justesse des personnages. Les enfants correspondent en tout point à mes souvenirs. La magie opère véritablement. Alceste, Agnan, Joachim, Eudes, Rufus, Clotaire, Maixent, Geoffroy et Nicolas ont pris vie devant mes yeux attendris, tous nimbés de leurs attributs physiques et de leurs caractères tous différents.
Je rends grâce au travail besogneux des casteurs qui ont su dénicher les perles rares. L’osmose entre ces démons en culottes courtes est optimale.
La palme dans le domaine de la justesse du jeu d'acteur doit être décernée à Victor Carles qui interprète Clotaire le dernier de la classe. Sa composition de cancre doux rêveur fait véritablement sensation.
Du côté adulte Kad Merad est excellent et Valérie Lemercier, une fois de plus, brille par son originalité et son naturel décalé. Daniel Prévost, Michel Duchaussoy, Anémone, François Damiens, Serge Riaboukine, Eric Berger et bien d'autres apportent toutes et tous quelque chose à l’ensemble. Parfois le comique naît d’un regard, d’un geste ou d’une phrase.
Ma seule réserve, mon seul regret en fait, tient à l’apparence du "Bouillon". Je ne sais pas si François-Xavier Demaison était le candidat idéal. Pour moi la figure du surveillant général est un être à la figure plus ronde, un personnage empreint à la fois de bonhomie et de rigueur militaire.
"Le Petit Nicolas" s’impose sans peine, vu le désert dans ce domaine, comme la comédie française de cette fin d’année 2009. Laurent Tirard a su tirer la quintessence d’un texte riche. Son film a une identité qui lui est propre.
Je ne peux que saluer l’admirable travail d’un metteur en scène qui a su comprendre l’esprit d’un univers et surtout, imposer ses choix de réalisation.