Le trading est un métier exigeant. Il nécessite d’être intelligent, calculateur et méthodique. Mais parfois, le marché n’agit pas comme prévu : lui a la bêtise des masses, il est irrationnel et chaotique. C’est alors que le trader frustré a la tentation de manipuler le marché. Juste à court terme car il n’a pas les réserves nécessaires. Juste pour faire un « coup » comme on parle d’un coup médiatique. Mais cet écart brutal lui profite, il récupère ses billes et s’en va, laissant le marché revenir de lui-même à l’équilibre.
Quoi de meilleur que d’imiter le grand trader George Soros, devenu millionnaire en spéculant entre autres sur la Livre sterling ? Le dollar est cette fois dans le collimateur. Il y a d’excellentes raisons stratégiques long terme à cela, nous l’avons dit : les États-Unis sont très endetté, ils vivent au-dessus de leurs moyens, leurs taux ne rapportent rien, leur industrie a accusé sévèrement la crise, les Chinois comme les pays arabes sont gavés de dollars et aimeraient bien s’en débarrasser. C’est ainsi que le quotidien britannique The Independant, citant des « sources bancaires » de Hongkong et des pays arabes, fait état d’un complot pour renverser le roi dollar. « Les pays du Golfe projettent – avec la Chine, la Russie, le Japon et la France – de faire cesser les transactions sur le pétrole en dollars, au profit d’un panier de monnaies qui comprendrait le yen et le yuan, l’euro, l’or, et une nouvelle unité de compte à créée par le Conseil de coopération du Golfe qui comprend l’Arabie Saoudite, Abou Dhabi, le Koweit et le Qatar. »
Krach ! Le dollar s’empresse de chuter, pour le plus grand profit de ceux qui ont vendu des positions contre lui depuis… des mois sans succès. Il est bien connu en stratégie guerrière que la meilleure tactique du faible au fort est l’attentat et la rumeur, surtout pas la guerre frontale. Application en bourse cette semaine.
Sauf que le dollar est-il sur le point d’être renversé ? Non, ce vieux rêve (qui ne date pas de la semaine dernière) est encore un vœu pieux géopolitique, économique et boursier. Déjà après les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, les Français avaient demandé aux pays du Golfe de pouvoir payer en franc, ou au moins en un panier de devises européennes. Nul ne sait si même un tanker a été réglé autrement qu’en dollar…
La géopolitique a créé un réseau serré d’alliances entre les États-Unis protecteurs et les pays producteurs ou obligés. On voit mal l’Arabie Saoudite et le Koweit, face à un Iran hostile et à un Irak travaillé de menaces internes, quitter le parapluie militaire américain. On voit mal le Japon secouer trop fort le traité militaire qui le lie fortement aux États-Unis face aux menaces chinoises, russes et nord-coréennes. La puissance géopolitique du moment reste encore et toujours les États-Unis.
L’économie la plus puissante de la planète reste américaine, ce qui la rend une « économie-monde », selon la définition de Fernand Braudel. Elle est certes affaiblie après sa décennie impériale des années 1990 (éclatement de l’URSS, première guerre du Golfe, essor des technologies de l’information et de la communication, envol des marchés financiers, prospérité inégalée). Mais le géant a de la réaction et – pour le moment – aucun autre grand mâle n’a les capacités à défier son leadership. On dit que les Chinois… Mais la Chine a de réels problèmes internes, à commencer par la question du pouvoir politique, à poursuivre par l’indigence des filets de protection sociale alors que le vieillissement de sa population s’accroît, que son économie est encore dans l’enfance et sa croissance officielle (on évoque couramment de 7 à 10% l’an) est un pur affichage politique. Certes, il existe une croissance réelle, tout n’est pas à la Potemkine et les entreprises étrangères qui s’y implantent le sentent, mais « le chiffre » est à prendre avec toutes les précautions nécessaires. Quand le PIB d’une puissance aussi informatisée et organisée que les États-Unis est révisé systématiquement six mois après son annonce « officielle », pourquoi affecter de croire meilleurs les Chinois ?
D’autant que la bourse est le lieu où la liquidité permet à une économie de se financer rapidement et à coûts restreints. Le yuan chinois n’étant pas convertible – et loin de pouvoir l’être – comment imaginer que la bourse de Shanghai supplante à court terme la bourse de New York ?
Curieusement, dans les comptes-rendus de cet article de The Independant qui ont affolé le dollar, quel est l’économiste qui a mentionné ce que le journaliste dit en passant, vers la fin, comme si l’information était négligeable : nul des comploteurs n’envisage de remplacer le dollar avant 2018 au moins ! Car il suffit de réfléchir trente secondes : QUI détient les plus grosses réserves de dollars au monde ? QUI pâtirait d’une chute brutale ? Vous avez bien deviné : la Chine et les pays du Golfe justement…
Qu’ils prévoient l’avenir et l’après-dollar possible, cela est sagesse. Mais ce n’est pas pour le mois prochain ! Ce que les manipulateurs du marché se sont bien gardé de préciser aux ignares qui se sont précipités pour tout faire mieux avant les autres. Ouvrez d’abord les yeux, vendez le rêve et achetez la réalité !
Alain Sueur, auteur des Outils de la stratégie boursière et de Gestion de fortune, écrit régulièrement sur Fugues.