Voilà une drôle d'idée dont on espérait qu'elle resterait dans la tête des élèves. Il n'est pas rare d'entendre ces derniers vous faire le reproche que vous êtes payés pour leur faire cours alors qu'eux daignent vous écouter gratuitement. On sourit et on se dit que c'est un simple trait d'humour.
Mais, le monde change. Les élèves aussi, dit-on. L'heure est venue de rémunérer la présence des élèves en cours. Pas individuellement. Non : ce serait exagéré ! Collectivement : solidarité oblige ! S'ils sont assidus, ils pourront remplir la cagnotte de la classe et s'offrir un voyage ou un coup de pouce pour le permis de conduire. C'est la dernière idée de quelques lycées de Créteil qui a du mal à passer dans l'opinion mais que le Ministre s'efforce de défendre maladroitement : il faut bien tout essayer pour réduire le décrochage scolaire.
Outre le fait que pour certains d'entre eux, il sera difficile de les payer autant que ce qu'ils gagnent en vendant des «joints» à la sortie du lycée, cette initiative est un signe de plus de la décrépitude avancée de notre système de formation. Cela me fait penser à ce père de famille qui n'avait rien trouvé d'autre que de payer son fils pour qu'il fasse son lit le matin.
L'argent peut-il suppléer l'éducation ? L'école publique n'a-t-elle plus que le recours aux euros pour retenir les élèves dans les classes ? Je ne peux m'empêcher de penser à ces classes de 60 élèves, sans chaises ni tables, que l'on trouve dans les pays en voie de développement. Et à ces enfants qui mettent une heure à rejoindre leur école, marchant pieds nus le long des pistes, dans l'espoir d'apprendre à lire et à écrire, et qui ne voudraient pour rien au monde passer à côté de cette chance.
Il y a quelque chose d'indécent dans cette évolution, et l'opinion ne s'y trompe pas. Espérons que cette initiative ne fera pas long feu, et prenons le parti d'en rire avec Jean-Pierre Gauffre (chronique "il était une mauvaise foi" du 5 octobre)
Frédéric Prat