"J'ai vu qu'en chantant ou en jouant de la harpe, on ne peut tourner que la tête d'un sot ; j'ai vu que la plus jolie figure
du monde n'empêche pas d'être excessivement ennuyeuse ; j'ai vu enfin qu'avec un esprit supérieur, on peut être insupportable et ridicule, et je me suis dit : "Je ne placerai point
mon amour-propre dans toutes ces choses." J'ambitionne des succès plus doux et plus durables ; ceux qui ne sont dus qu'aux charmes du caractère et à la sensibilité de l'âme." (p.
35)
Un soir où, devant un auditoire, Madame de Nangis est prise à partie par son mari, soupçonnant que la partition ait été composée à son intention par Germeuil, son amant, la
jeune Natalie, secrètement amoureuse de ce dernier, l'ayant appris par coeur après la lui avoir
dérobée, intervient pour la sauver. La seconde fois signera la concrétisation de leur couple et de leur amour aux yeux de tous, jusqu'à ce que Madame de Nangis demande à Natalie d'y renoncer.
Cetet dernière part alors de son propre chef et, dans sa retraite, écrit...
Cette nouvelle sentimentale n'est pas sans rappeler une certaine Madame de Lafayette par son éloge de la
vertu et des sentiments amoureux. Tout en fustigeant la gent masculine, plus ambitieuse que
constante dans le sentiment amoureux, Madame de Genlis conseille à ses lectrices de savoir rester
humbles et discrètes, la condition d'écrivain les exposant aux pires médisances. Comment peut-on être aussi contradictoire, en étant au demeurant soi-même pédagogue, disciple de Rousseau, et
femme de lettres ? Comment peut-on écrire :
"Je garderai ma liberté, je ne me marierai jamais, je serai toujours indépendante, et par conséquent plus heureuse." (p. 40)
et exiger des femmes qu'elles ne se mettent jamais en avant et restent "à leur place" ?
Voilà bien un état d'esprit tourmenté, celui d'une aristocrate de l'Ancien Régime, occupée d'éducation, de
religion et de morale, mais n'allant pas jusqu'au bout de son statut de "femme auteur" en embrassant une vision plus féministe de la position sociale de la femme. Peut-être n'a-t-elle pas
souhaité que d'autres femmes subissent les calomnies qu'elle a pu endurer de son vivant. Elle fit ainsi, même dans ses écrits, le choix du fatalisme et non du combat. Du coup, ne reste comme
attrait de sa nouvelle que la finesse de son analyse psychologique des sentiments amoureux. Dommage...