"Je ne crois pas à la « realpolitik » qui fait renoncer à ses valeurs sans gagner des contrats. Je n'accepte pas ce qui se passe en Tchétchénie, au Darfour. Je n'accepte pas le sort que l'on fait aux dissidents dans de nombreux pays. Je n'accepte pas la répression contre les journalistes que l'on veut bâillonner. Le silence est complice. Je ne veux être le complice d'aucune dictature à travers le monde."
Nicolas Sarkozy, 14 janvier 2007, Porte de Versailles, Paris.
Nicolas Sarkozy est parti lundi pour une quinzaine d'heures de visite au Kazakhstan. Et il s'est assis, une fois de plus, sur ses belles déclarations tonitruantes d'une campagne présidentielle si obsolète. Le Kazakhstan n'est pas une démocratie. Amnesty International y relève régulièrement des violations de droits de l'homme, comme des récents cas de torture de prisonniers. Sarkozy n'a même pas l'intention d'y évoquer les libertés publiques. Donner des leçons quand on vient séduire un client, cela n'aurait pas été très sérieux: "La meilleure façon de résoudre des problèmes, car il y a des problèmes, et j'en ai parlé avec le président, c'est pas forcément de venir en donneur de leçons" a-t-il déclaré à la presse en arrivant. Le chef de l'Etat se contente de peu, en l'occurrence de belles promesses: "J'ai fait le choix de soutenir avec la diplomatie française le Kazakhstan, c'est un choix de paix et parce que les dirigeants de ce pays m'ont dit leur profonde volonté d'appliquer les principes fondamentaux de l'OSCE."
Son homologue kazakh, le président Nazarbaïev en poste depuis 20 ans, a également justifié sa "trajectoire": "notre but principal consiste à renforcer notre indépendance, améliorer le niveau de vie de notre peuple et nous rapprocher doucement du monde civilisé pour adopter toutes les valeurs de liberté et de démocratie existant dans le monde occidental". Nicolas Sarkozy a voulu ajouter une petite touche de diplomatie mondiale pour alléger son fardeau humanitaire: "Nous avons besoin du Kazakhstan pour résoudre la crise en Afghanistan et en Iran et pour établir de nouvelles relations avec nos amis russes dans la lutte contre les extrémismes". Le Kazakhstan va ainsi autoriser le transit par son territoire de matériel et ressources militaires françaises vers l'Afghanistan. En "échange", Sarkozy a annoncé qu'il défendait la candidature du Kazakhstan à la présidence de l'OSCE, compte tenu de son renoncement à l'arme nucléaire. Rappelons quelques-unes des missions de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe : "mener à bien des projets d'aide au bon déroulement d'élections allant de la préparation au suivi de ces dernières"; " promouvoir les institutions démocratiques et d'aider les Etats participants à les mettre en place"; "instaurer un système judiciaire pleinement respectueux de la dignité humaine". Confier la présidence de cette organisation à un chef d'Etat accusé de truquer les élections, et emprisonner ses opposants a quelque chose de tristement cocasse. C'est, pour Nicolas Sarkozy, le prix éthique à payer pour transformer le Kazahstan en allié stratégique de la France aux frontières de l'Asie.
Le 17 septembre dernier, le Parlement Européen a demandé aux autorités kazakhes de "réexaminer la condamnation et la sentence prononcées contre le militant des droits de l'homme Evgeniy Zhovtis ainsi que d'ouvrir une deuxième enquête, "complète et impartiale", sur les circonstances de l'accident de la route pour lequel il a été condamné à quatre ans de prison."
Le principal reproche diplomatique que l'on peut faire à Nicolas Sarkozy n'est pas tant qu'il rende visite à des dictatures. Mais le culot avec lequel il a osé donner des leçons hier, qu'il ne respecte pas aujourd'hui, est ne lasse de surprendre. C'est même un trait de caractère. Sarkozy crie d'autant plus fort les engagements qu'il ne tient pas.
Mardi, la "moisson" fut bonne pour les entreprises françaises:
- Un milliard de dollars d'acquisition pour Total et GDF Suez: les deux entreprises vont prendre 25% du champ gazier offshore de Khvalynskoye en mer Caspienne, auprès du groupe Kazakh KMG. L'opérateur actuel est le russe Lukoil. L'exploitation démarrera en 2016 pour livrer quelques 8 et 9 milliards de m3 par an pour le marché russe.
- Environ 1,2 milliards d'euros, sur un marché total de 1,5 à 2 milliards d'euros, pour un consortium d'entreprises françaises, mené par le groupe SPIE, qui construira un oléoduc reliant le champ pétrolier géant de Kashagan à la mer Caspienne. Ce 1,2 milliards n'est pas une commande ferme: les sociétés françaises ont obtenu quelques mois de négociations exclusives pour éventuellement remporter l'affaire.
- 230 millions d'euros pour EADS Astrium qui va fournir deux satellites d'observation et une unité d'assemblage de satellites. Il y aura donc transfert de technologie.
- 100 millions d'euros pour THALES qui livrera 4.500 postes de radio à l'armée kazakh, en espérant, plus tard, être associer à un contrat d'envergure d'équipements militaires (2 milliards d'euros).
- La création d'une société commune entre AREVA et Kazatoprom pour produire du combustible nucléaire destiné à l'exportation, notamment vers la Chine.
- EUROCOPTER (EADS) va créer une filière de formation de pilotes, maintenance et location d'hélicoptères au Kazakhstan, en espérant plus tard vendre des hélicoptères à l'armée locale.
Nicolas Sarkozy ne fait qu'ajouter une dimension symbolique et désagréable à l'affaire.
Il y a encore quelques heures, sur d'autres sujets, Nicolas Sarkozy jouait aux donneurs de leçons. Encore et toujours.
Quand Sarkozy flingue la classe politique
par politistution