L’incontournable logique de la définition du contrat de travail
Rappelons-le, le contrat de travail se caractérise par trois conditions indispensables : une prestation de travail, exécutée sous l’autorité de l’employeur (la subordination juridique), en contrepartie d’une rémunération appelée salaire. Or, aucun de ces éléments, au sens de leur interprétation par la jurisprudence sociale, ne peut être relevé dans le cadre du portage salarial.
La prestation de travail d’abord. Certes, il est incontestable que le porté va exécuter une tâche. C’est l’enjeu même du contrat, non pas de portage qui le lie à son pseudo employeur, mais du contrat de prestation de services qui lie celui-ci au client qui recourt aux services du porté. Plus encore, loin de fournir le travail, l’entreprise de portage s’en remet au porté qui devra trouver personnellement ses clients et générer sa propre activité. De ce point de vue, le porté ne peut donc pas être considéré comme un salarié. CQFD !
La rémunération ensuite. Dans le contrat de travail, celle-ci est débattue directement entre l’employeur et le salarié dans les limites légales et conventionnelles qui s’imposent à eux. Point de négociation dans le contrat de portage salarial : le porté détermine seul le prix de sa prestation que l’entreprise de portage facturera au client. Le porteur et le porté, loin de discuter un salaire, vont en revanche négocier la rétribution de l’entreprise de portage salariale pour les prestations d’assistance qu’elle va fournir au porté. N’est donc pas fixé dans le contrat de portage le prix du travail, un salaire, mais le prix d’une prestation de services, celle de « l’employeur ». De ce point de vue, le porté ne peut toujours pas être assimilé à un salarié. CQFD !
La subordination juridique enfin. Le salariat exige une activité réalisée selon les ordres et les directives de l’employeur, lequel a le pouvoir d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les éventuels manquements. Le portage salarial fait fi de tout cela puisque c’est en toute indépendance et avec ses propres moyens, notamment matériels, que le porté va exécuter la prestation convenue. De ce point de vue, le porté n’est définitivement pas un salarié. CQFD !
Des efforts vains des partenaires sociaux
Malgré cette démonstration implacable, la loi de modernisation du marché du travail a choisi de faire du portage salarial un contrat de travail, renvoyant la « patate chaude » aux partenaires sociaux – qui, il est vrai, étaient demandeurs - plus précisément à ceux de la branche considérée comme la plus proche du portage salarial, celle du travail temporaire.
Ceux-ci auront beau faire, ils ne parviendront pas à un accord juridiquement satisfaisant et quelques exemples tirés du projet de texte en cours de discussion en apporte la preuve.
Dès le préambule du projet d’accord, les parties le rappellent : « En tout état de cause, la situation de portage salarial est caractérisée par le fait que la démarche de portage salarial est à l’initiative de la personne portée. La personne portée prospecte ses clients, négocie le prix de la prestation de travail et met directement une entreprise cliente en relation avec l’entreprise de portage salarial. » Cette affirmation devrait suffire à elle seule pour que la qualification de contrat de travail soit écartée si elle n’était pas affirmée par la loi.
L’article 1 du même texte est tout aussi éclairant en ce qu’il précise que « la gestion du régime du salariat conduit l’entreprise de portage à conclure un contrat de travail dit de portage salarial [...]. ». Ne devrait-ce pas être le contraire : C’est parce que la prestation de travail s’exécute dans le cadre d’un contrat de travail, à durée déterminée ou non, que les droits et obligations qui en résultent doivent s’appliquer ? Les intentions apparaissent ici clairement : la qualification juridique de contrat de travail est malmenée dans un seul but, faire bénéficier le porté du régime qui en découle.
Partant de cette contradiction originelle, le reste du projet d’accord contorsionne le droit du travail pour y faire entrer à tout prix le portage salarial. Il en va ainsi notamment, de l’article 3 relatif au temps de travail du porté. Il indique que le contrat de portage salarial comportera « éventuellement » une convention de forfait en heures mensuelles ou annuelles ou une convention de forfait annuel en jours, alors même que les portés « sont libres d’organiser eux-mêmes leur temps de travail » puisque par définition ce sont eux qui génèrent leur propre activité. Il en est de même à l’article 5 relatif à la « rémunération de la personne portée » (salariée ?) laquelle tient compte du coût de réalisation de la prestation de travail négociée avec l’entreprise cliente et des frais de gestion de l’entreprise de portage salarial : un mécanisme de facturation donc tenant compte des frais engagés et de la marge recherchée, dans les limites toutefois d’un salaire minimum conventionnel (sic).
Vers la fin du portage salarial ?
On le voit, l’objet même du portage salarial, permettre à des personnes qualifiées et/ou des seniors de tenter l’aventure du travail indépendant sans perdre les avantages que leur procurait leur statut de salarié, conduit à des contorsions des concepts qu’un juriste travailliste orthodoxe a un peu de mal à accepter.
D’autant que l’on peut s’interroger sur l’intérêt même de ce dispositif aujourd’hui. On comprend bien que les entreprises de travail temporaire entendent développer une activité supplémentaire, après celle de placement, et ce au grand dam des entreprises de portage salarial qui occupent déjà le terrain. Qu’elles n’oublient pas néanmoins les incidences de ce choix. Si le porté est leur salarié, elles doivent en subir toutes les conséquences, y compris sur le plan de la responsabilité civile par exemple, le porté devenant un préposé…
Pour sa part, le porté n’a-t-il pas intérêt à se tourner vers un autre statut, celui d’auto-entrepreneur qui lui garantira également le démarrage sans risque de son activité indépendante, sans avoir à rétrocéder une part de son chiffre d’affaires tout en bénéficiant d’un accompagnement d’aussi grande qualité… celui des chambres de commerce et d’industrie.
Quoi qu’il en soit, les partenaires sociaux ont encore une année devant eux pour rendre leur copie définitive. Gageons d’ores et déjà qu’il leur sera difficile de s’en sortir avec les félicitations du jury.