Pour une certaine génération, la mienne, Internet fut un espace de vide qui permettait de passer outre les structures classiques de validation. Même si le réseau ne fut jamais underground mais toujours pop, parce que le www consistait justement en cette visibilité massive à la différence des circuits privés des BBS, nous n’étions pas si nombreux entre 1994 et 1999. Ce qui se faisait à ce moment là sur Internet était d’ailleurs spécifique, plusspécifique que ce qui se réalise aujourd’hui. On retrouve cette exploration spécifique du médium dans l’histoire de l’art vidéo dans les années 70-80 par exemple. Elle concerne la genèse et la découverte des supports.
Il y avait du vide sur Internet et donc du possible. Nous étions visibles parce que nosu étions peu nombreux. Quelques uns à peine. Nous pouvions donc inventer ce que nous faisions et être à l’écart, malgré les limitations techniques, de ce que l’économie imposa plus tard à la perception navigative. Ce fut donc un vide par défaut.
Actuellement, la structure s’est inversée. Nous sommes noyés dans le réseau. Tout le monde s’y met, avec de moins en moins de spécificité (et quand il y en a, elle prend d’ailleurs souvent la forme nostalgique du lowtech, d’une origine perdue du netart qui doit se décontextualiser de la situation actuelle et sociale du réseau). Il y a une quantité de sites de socialisation artistique, de médiation. Chaque peintre, céramiste, graveur a un site (dont le modèle graphique d’ailleurs s’est homogénéisé. Il y aurait toute une étude à faire sur la norme visuelle des sites d’art contemporain), une image sur Internet. On s’y perd. On y comprend plus rien par saturation de données. On doit passer d’un site à un autre, il y a tant de choses à voir, on ne s’arrête sur rien, on ne prend pas le temps parce que le temps du flux nous prend. De sorte qu’Internet es devenu, concernant cette question de la transmission esthétique, exactement l’inverse de ce qu’il était: un espace dont il faut échapper, où il ne faut pas être.