« Et si la littérature était d’exil ? » Lydie Salvayre
Un écrivain populaire est-il un bon écrivain ? Je suis étonnée par la tendance actuelle, en France, à mépriser les auteurs à succès, (à penser qu’un auteur à succès est un mauvais écrivain). Ainsi, au départ, on reconnaissait volontiers du talent à Bernard Weber, Anna Gavalda, Paulo Coelho, Marc Lévy, Maxime Chattam, Guillaume Musso, maintenant, on les traite avec une certaine forme de mépris ou de condescendance quand ce n’est pas d’acrimonie dans certains articles de journaux. Est-ce une affaire d’élitisme ? Auteur à succès, donc commercial, donc sans talent ? Toute l’admiration est alors réservée à des auteurs érudits et méritants, certes, admirés par leur pair mais totalement inconnus du grand public et même des bons lecteurs des blogs littéraires , comme le sont par exemple, Pierre Bergounioux et Pierre Michon. Faut-il avoir honte de certaines de ses lectures?
Depuis quelque temps j’observe avec curiosité le malaise ressenti par certains critiques concernant ce qu’il faut bien reconnaître honnêtement comme le succès actuel du livre de Beigbeder : «Un roman français». Les commentaires des blogs, eux, sont en grande majorité positifs. Pour ma part, l’ayant également beaucoup aimé je trouve certaines critiques journalistiques d’une acidité de mauvais aloi, voire de mauvaise foi ! Comme si un personnage connu, déjà célèbre, riche, bénéficiant de tous les signes de réussite sociale ne pouvait pas, en plus, écrire un bon roman ! Pourquoi ?
J’ai trouvé une sorte de réponse dans BW, le livre de Lydie Salvayre que je viens de terminer. Un passage a particulièrement retenu mon attention, page 152.
L’ancien éditeur des éditions Verticales chez Gallimard, BW, le héros de ce livre, prétend, en effet que seuls, les mal-aimés, les non - officiels, les non - reconnus, les réprouvés sont de vrais artistes !
« Et s’il n’y avait de littérature que d’exil ? Et si le travail d’éditeur était d’aller à l’encontre des errants. Il faut se barrer avant d’avoir à se rendre, ou pire, d’être banni.
Et BW, dans un accès sentimental, de faire la check-list des bannis, réprouvés, condamnés et exilés (volontaires et involontaires) chers à son cœur :
Epictète congédié par Domitien
Juvénal éloigné par Hadrien
Ovide chassé parce que trop immoral
Dante forcé à l’exil et condamné à mort
Charles d’Orléans emprisonné
Erasme censuré par l’Inquisition
Rabelais réprouvé par la Sorbonne
Jean de la Croix enfermé à Tolède
Quevedo banni de la Cour
Sade emprisonné pour débauche
Voltaire exilé et emprisonné
Diderot emprisonné
Beaumarchais emprisonné
Chateaubriand exilé
Byron mis au ban
Hugo exilé
Baudelaire condamné
Flaubert idem
Kafka exilé
Wilde condamné
Tsvetaïeva exilée
Mandelstam déporté
Joyce exilé
Nabokov exilé
Beckett exilé
Danilo Kis exilé
Artaud exilé d’entre les exilés
On n’en finirait pas de dérouler la liste de ces Dispersés qui n’eurent d’autre lieu que la langue. »
Autrement dit, la littérature comme sacerdoce, comme engagement total, à la vie à la mort, oui ! Comme gagne pain ou activité commerciale, non ! Serait-ce dégradant alors ?
Je ne boude pas mon plaisir ! Etant une lectrice lambda, si j’aime, je le dis, même si c’est un livre des plus humbles, après tout ! Et si le livre m’ennuie, je n’en ai pas honte, même s’il est écrit par l’auteur le plus estimé et le plus respecté qui soit !