Photo (c) Hans Scherhaufer
C'était imperceptible, une sorte de malaise dès le début, un je ne sais quoi de dérangeant. Ces affiches (mais on en a déjà parlé), ce plan com', cette idée d'aller saluer Wowereit et Mitterrand. Dès le premier jour devant le Rothaus l'impression a été confirmée. Le peuple, en bas, la plèbe sur le trottoir pendant que les autorisés nous prennent en photo depuis le balcon de la mairie. Discours de Wowereit sans trop de longueur, c'est toujours ça. Dans la foule se glissent des hôtesses de Total, principal sponsor des Géants du Royal, et distribuent pubs et cadeaux. Total, c'est un peu dur à digérer pour le Royal non? Les géants instrumentalisés avancent entourés d'uniformes verts, on se croirait à une manif du premier mai, on les sent bloqués, brimés, récupérés. Mais le pic est atteint à la Porte de Brandebourg, c'est jour de fête nationale, on a vendu la Festmeile à Coca Cola, à la journée du don d'organes, à la saucisse et à la bière. Berlin, Wowereit, les Berliner Festspiele ont eu le mauvais goût d'offrir ça comme décor aux retrouvailles des deux géants. Faut choisir l'angle de la photo pour ne pas avoir les sponsors en fond. Devant cette armada d'enseignes, même le grand géant perd de sa superbe, tout est plus haut, plus grand que lui, la sono, la scène, les spots. Poésie contre marchandise. Et cette strasse der 17 Juni totalement fermée à Tiergarten force les géants à parader entre une currywurst et un vin chaud. Interdiction de stationner devant le Reichstag, interdiction de passer dans les rues de la ville les plus habitées, interdition de voler au-dessus de la Porte de Brandebourg, de passer en dessous, ah non finalement à force de bagarre Courcoult obtient le droit de faire voler sa géante. Mais on sent le temps des négociations, dans la foule, on attend, on attend, on est privés de Porte de Brandebourg côté Est, on se retrouve parqués d'un côté ou de l'autre, on se voit interdire l'accès à la Pariser Platz par des camions de flics. Le Royal déroule le tapis rouge aux huiles, Frédéric Mitterrand en tête, le conte de fée n'est plus qu'un prétexte à contentement politique, et encore les élections sont passées. La fête populaire prend des allures de défilé militaire. Le dernier jour, Porte de Brandebourg, on attend longtemps le réveil des géants, comme s'ils étaient fâchés de tout ça, qu'ils faisaient une sorte de grève, qu'ils opposaient à cette marchandisation une heure de silence forcé. Lundi un communiqué de presse annonçait qu'1,5 millions de personnes s'étaient déplacées, et que l'économie berlinoise avait récupéré en un week-end la moitié des 1,5 millions d'euros investis par Total, Mercedes, et la municipalité. Pour eux, que du bénef. Pour Royal de Luxe, une des plus belles récupérations de son histoire.