Qu’est-ce qui a poussé Daniel Mendelsohn ou Jonathan Safran Foer à partir se geler les fesses pendant des mois au fin fond de l’Europe de l’Est, à se contenter de vieux borsch froid et à moitié figé en guise de dîner quotidien et à supporter l’omniprésente odeur de choux?
J’extrapole sûrement.
Qui peut croire que Daniel Mendelsohn ait ingurgité du borsch froid, ou même tiède, pendant qu’il cherchait la trace de son grand-oncle Shmiel avant d’écrire Les disparus?
En fait, la question centrale est sans doute moins culinaire qu’existentielle: qu’est-ce qui fait que, comme le dit Mendelsohn, « dans un foyer, il y en a toujours un pour s’intéresser à ses origines »?
Pourquoi le plus grand nombre parvient souvent à se contenter du simple fait de “ne pas savoir”, cette ignorance grise, triste et résignée, alors que ce trou de mémoire involontaire tourne, chez d’autres, à l’obsession douloureuse, voire intolérable?
Qu’est-ce qui fait que je reviens à l’année 1942, année de l’anéantissement familial si j’en crois le peu d’informations que j’ai pu glaner, avec un acharnement parfaitement inconscient et presque mécanique, mois après mois, année après année, depuis mon adolescence? Un peu comme la langue revient involontairement titiller une dent cariée, jusqu’aux limites du supportable. Comme si chaque disparu était, à lui tout seul, une plaie béante et inimaginablement douloureuse qui demandait à être soignée, même de manière radicale, même par cautérisation brutale.
Toute quête du savoir, même la plus modeste, exige des quantités astronomiques de caféine (la meilleure façon de l’absorber étant, d’après moi, de se préparer dix à quinze litres de café turc bien mousseux).
Et plusieurs kilos d’antalgiques, évidemment.
Mon pharmacien va devenir millionnaire.