L'immeuble Lacroix-Charbonnaud à la fin des années 1980 - © Wulf Van Riesen
L’été 2009 a vu la concrétisation à Angoulême du chantier de l’immeuble dit « Lacroix-Charbonnaud », dont la transformation s'est opérée sous nos yeux en quelques mois. Ce bâtiment a abrité jadis les ateliers de façonnage du papier de la célèbre famille Lacroix puis l’imprimerie Veyret, devenue par la suite société Charbonnaud. L'ensemble, longtemps laissé à l’état de friche, est particulièrement intéressant car il fut édifié (avec les brasseries Champigneulles, aujourd'hui bâtiment dit "Castro" de la CIBDI) sur les ruines de l’abbaye Saint-Cybard, fondée au VIème siècle. Certaines traces y sont d'ailleurs encore visibles à l’intérieur (voûtes) et il en subsiste un logis abbatial, construit dans la seconde moitié du XVIIème siècle et classé Monument Historique. Ce projet de recyclage (je préfère ce terme à "réhabilitation", parce qu'il s'agit d'affecter une nouvelle fonction au bâti) est mené par le promoteur Vinci immobilier, qui en a fait l'acquisition auprès de la ville en 2008 afin d'y installer une « résidence-services » de 104 logements, destinée aux étudiants et professionnels du secteur de l'Image. Les architectes en charge de ce projet (Société Meyer-Coustou) ont choisi de conserver la structure en pierre de taille de l'édifice, mais la charpente mixte en métal et en bois, représentative de l'architecture industrielle du XIXème siècle, a été extraite (notamment pour des raisons de conformité avec les normes sécuritaires actuelles relatives au bâti résidentiel). Le bruit court que cette charpente devrait être remontée dans la cour prochainement. Les choix qui ont été effectués pour ce projet sont bien évidemment contestables, et d'aucuns dénoncent le recours systématique au « façadisme » pour ce type d'entreprise. Il est vrai qu'il s'agit là d'une tendance récurrente, comme nous l’avons vu pour les Chais Magélis dans ce billet. Néanmoins, le chantier en cours semble souligner l’allure du bâtiment et ne pas nier son identité industrielle.
La friche industrielle bâchée aux couleurs de Magélis en 2001 - © Patrick Blanchier
Quoi qu’il en soit, s’il y a bien un monument important à Saint-Cybard, c’est celui-ci. Qualifié de véritable « palimpseste architectural » par l’ancien ABF Jean-Pierre Auzou, l’immeuble Lacroix-Charbonnaud, porte en lui-même les différentes strates de l’histoire du site de Saint-Cybard et mérite bien une autre vie. Cependant, là où le bât blesse, c’est qu’en dépit de la valeur patrimoniale que représente un tel édifice, le projet qu’on y développe n’a pas pour objet de restituer ce Patrimoine aux publics locaux. À travers ce projet transparaissent bien les enjeux économiques poursuivis avec le Pôle Image, qui doit attirer entreprises, professionnels et étudiants du secteur de l’Image et de la création numérique, au sein d’un centre dynamique et porteur. C'est ce dont on a besoin à Angoulême, me direz-vous! Mais la sauvegarde de cet édifice constitue une opportunité en or de valoriser le Patrimoine industriel de ce quartier, dont on ne parle malheureusement pas assez. Les étudiants et jeunes actifs qui vivront dans ces lieux de manière temporaire sauront-ils qu'ils occupent l'un des bâtiments les plus importants dans l'histoire de la ville, où se sont succédés des milliers d'ouvriers papetiers ? Sans politique culturelle autour de ce Patrimoine bien particulier, rien n'est moins sûr...
Le chantier à l'automne 2009 - © Magali Renard