En exclusivité, une tribune de Jean Benoît, Président du Syndicat des Biologistes, et porte parole de l’intersyndicale.
Le Président Jean Benoît
Une nouvelle fois, la Cour des comptes intervient sur la Biologie Médicale, estimant que les recommandations qu’elle avait faites en 2005 dans ce domaine n’avaient pas été suivies d’effet et édictant un certain nombre d’affirmations témoignant d’un approche trop superficielle du dossier et qui n’est basée sur aucune étude sérieuse.
- concernant l’évolution des dépenses et les tarifs :
- la cour estime que « les évolutions technologiques permettraient des baisses de tarif beaucoup plus importantes »
- la Cour semble ignorer que les évolutions technologiques ont déjà été prises en compte depuis 15 ans par une adaptation tarifaire et que l’assurance maladie a déjà récupéré une bonne partie des gains de productivité engendrés. En effet, fin 1998 les dépenses annuelles de Biologie étaient au même niveau que fin 1993 (sources CNAM), alors que dans le même temps, celles de tous les autres secteurs de la santé augmentaient selon des évolutions à deux ou trois chiffres. Les taux d’évolution des dépenses de Biologie ont alors repris sur un rythme plus soutenu du fait des nouvelles avancées technologiques mises à la disposition des médecins (et surtout des patients), ainsi qu’au transfert de l’hôpital public vers la ville du suivi biologique de nombreux patients en ALD. Depuis, la progression des dépenses est parfaitement maîtrisée (moins de 2% en 2008, même rythme en 2009). De même, comme nous le verrons plus loin, la Cour ne prend pas en compte sérieusement les baisses tarifaires successives qu’a connues la Profession ces dernières années.
- Les tarifs
- Il est vrai qu‘un certain nombre d’actes sont tarifés à un niveau plus élevé en France que dans d’autres pays européens, en particulier les actes de routine. Mais, contrairement à ce qu’affirme la Cour aucun étude internationale véritable n’existe sur la comparaison des prix européens dans le domaine de la Biologie, aucune d’entre elle n’ayant pu aboutir du fait de la très grande hétérogénéité existant entre les types d’exercice selon les pays.
- La tarification des actes dans un certain nombre de pays européens, ne concerne que la réalisation technique de l’analyse et ne comprend pas la partie plus médicalisée, à savoir les actes de prélèvements et toutes les contraintes afférentes, ni le rendu et l’interprétation des résultats qui sont rémunérés à d’autres professionnels de santé (médecins); ce coût n’est pas évalué dans ces états alors qu’il est intégré en France. Une comparaison internationale nécessite une véritable étude économique prenant en compte tous les coûts, cette étude est à mener car annoncer des prix sans savoir exactement ce qui est rémunéré n’a pas de sens.
- Il regrettable que la cour aborde d’une façon très superficielle la tarification des examens plus complexes (hormonologie, marqueurs cancéreux..) qui est, elle, en faveur de la tarification française.
- « les ajustements tarifaires conséquents … mais apparaissant encore trop limités au regard des possibilités» :
- La profession a subi sur les quatre dernières années, trois baisses de nomenclature, dont chacune représentait plus de 100 millions d’euros d’économies annuelles pour l’Assurance Maladie et de 120 à 130 millions d’euros de diminution de chiffre d’affaire pour les laboratoires. Ces chiffres sont sous-estimés, car basés sur les consommations des années précédentes auxquelles il aurait fallu rajouter l ‘impact des évolutions en volume. Prenons l’exemple de la seule baisse de 2008 : les économies attendues basées sur les chiffres CNAM en nombre d’actes 2007 étaient de 98,5 Millions d’euros en remboursé (payé par l’Assurance Maladie). Si l’on prend en compte les chiffres de 2008 ce sont, au minimum 121 millions d’euros qui ont été récupérés ce qui représente 190 millions d‘euros de baisse de chiffre d ‘affaire pour les laboratoires. On peut donc estimer l’impact de la seule baisse de 2008 à 6% minimum du chiffre d’affaire des laboratoires. Ce même raisonnement peut être appliqué aux deux baisses précédentes de 2005 et 2006, et ce sont, au minimum 340 millions d’euros cumulés qui ont été récupérés par l’assurance maladie.
- Il est évident également que la Cour sous-estime l’importance de la Réforme entreprise et les charges qui vont en découler pour les laboratoires. Ces charges ne pourront être assumées (frais de restructuration, rééquipement, impact très important de la mise en place de la norme EN 15189 sur la totalité du fonctionnement du laboratoire et sur toutes les analyses effectués dans les laboratoires) si la tarification des actes baisse drastiquement. A notre connaissance , dans aucun pays une telle charge n’est encore imposée aux structures de biologie, l’accréditation ne ciblant, le plus souvent, qu’un ou quelques secteurs du laboratoire.
- On peut d’ailleurs s’étonner, que notre discipline ne représentant que 4 milliards d’euros soit 2,5% à 2,7% des dépenses de l’assurance Maladie, soit la cible d’attaques aussi violentes et répétées. On supprimerait la totalité de la Biologie française que l’on n’aurait pas comblé la moitié du déficit annuel de la branche maladie de la Sécurité Sociale. Alors pourquoi une discipline médicale dont la progression des dépenses est maitrisée et qui ne représente que si peu dans le budget fait elle l’objet de tant d’attentions ? Peut-être s’agit-il d’une politique de revenus, alors disons le clairement, mais est-ce le rôle de cette Institution ?
- La Cour préconise de « développer d’avantage des actions de gestion du risque pour réduire le nombre d’examens inutiles ».
- Cela fait des années que le SDB , conscient du déficit énorme de la sécurité sociale, soutenu par d’autres syndicats de biologistes, dont le SJBM, s’est positionné pour mettre en place un système de prescription pertinent en biologie, basé sur des référentiels établis en commun avec la HAS, les Caisses d’Assurance Maladie et les médecins prescripteurs. Jusqu’à présent, l’Assurance Maladie et le Ministère de la Santé sont restés sourds à ces demandes. Il est vrai qu’une fiche d’aide à la prescription sur le bilan thyroïdien a été diffusée aux prescripteurs, sur l’insistance du SDB, mais dans des conditions telles , contrairement à ce qui est avancé par la Cour, qu’elles ne pouvaient être suivies d’un effet durable. L’assurance maladie n’a pas voulu suivre les recommandations des syndicats de biologistes qui préconisaient un envoi identifiable de cette fiche et non un envoi parmi d’autres documents administratifs ainsi que des formations locales entre biologistes et médecins, avec participation de cette même Assurance Maladie . Là on aurait pu créer les conditions d’un véritable changement de comportement à la prescription qui est le seul garant d’économies à long terme. De même, nous avons proposé d’autres modes de rémunération pour certaines analyses de biologie reposant sur des forfaits ou une autre structuration de la tarification, comme nous avions également proposé de mieux utiliser le réseau de laboratoires dans les actions de Santé Publique. Ces propositions ont été réitérées dans le cadre des groupes de travail pilotés par M Ballereau sur la Réforme de la biologie, elles semblent avoir été reçues positivement, mais encore faut-il que l’on mette en œuvre des conditions d’application adéquates.
- Concernant la structuration du réseau de laboratoires :
- La Cour indique « que le maintien des restrictions relatives à la composition du capital des laboratoires et de l’interdiction de créer des centres de prélèvement, constitue un frein puissant au regroupement des laboratoires »
- Encore une fois cette affirmation est inexacte car le regroupement des laboratoires est largement engagé et va de beaucoup se renforcer après la publication de l’ordonnance qui va réformer notre Profession d’ici la fin de l’année. Déjà plus de 2300 laboratoires sont regroupés sous forme de SEL (Sociétés d’Exercice Libéral), demain ce sera la quasi totalité des laboratoires qui seront regroupés. Cela n’a aucun lien avec la libéralisation du capital des sociétés de laboratoires demandée par les groupes financiers. Ces regroupements les biologistes les feront entre eux, entre professionnels de santé, en s’engageant parallèlement dans une démarche d’Assurance Qualité de très haut niveau ( accréditation par le Cofrac suivant la norme NF EN ISO 15189).La réforme de la biologie va renforcer le caractère médical de notre discipline et cela nécessite que les biologistes puissent conserver leur indépendance de choix, ce qui ne serait bien évidemment plus le cas si des financiers prenaient en mains le réseau de laboratoire français. Nous trouvons inquiétant cet alignement de la Cour sur la dialectique des groupes financiers à un moment où le monde subit une crise sans précédent déclenchée par un système que la Cour semble vouloir souhaiter voir se mettre en œuvre dans la biologie. Nous rappelons à la Cour, si soucieuse des deniers de l’état, qu’offrir aux financiers un réseau dans lequel ils vont pouvoir faire fonctionner la machine à volume d’actes qui deviendra vite incontrôlée et incontrôlable, est très dangereux économiquement. Il n’en est pour preuve que la consultation des propositions d’emploi de ces groupes pour l’embauche de « visiteurs médicaux » en biologie, la rémunération de ces personnes étant composée d’un fixe et d’une partie variable dont l’importance sera directement proportionnelle à l’augmentation, des prescriptions du médecin visité avant et après la visite. Est-ce cela qui est souhaité?
- Nous regrettons que la Cour, ne se soit pas intéressée aux problèmes que rencontre l’Allemagne, où ce système à base financière est en place, pour maîtriser ses volumes d’actes de biologie.
- Le choix qui semble avoir été fait dans le cadre de la Réforme en cours, est celui d’une Biologie certes concentrée, restructurée, dotée d’une Assurance Qualité irréprochable, mais conservant le caractère essentiel de réseau de santé, proche des patients et correspondant à la structuration du système de soins français. C’est aussi le souhait de nos patients qui, en quelques semaines, ont été plus de 200 000 à signer une pétition s’opposant à cette financiarisation de la biologie française.
- En ce qui concerne la position de la commission européenne sur la libéralisation du capital des laboratoires, elle est contredite par le jugement de la Cour de Justice Européenne sur les pharmacies en Allemagne et en Italie qui a estimé que les pharmaciens, du fait de leur rôle dans la Santé Publique, devaient garder la possession de leur outil de travail. Nous avons très bon espoir que le jugement de la CJCE, qui interviendra dans quelques mois sur la biologie, aille dans le même sens. La prise en mains du système de Santé par les financiers n’est donc pas inéluctable, loin de là, et n’est absolument pas souhaitée par nos concitoyens.
La cour des comptes
- Alors aujourd’hui nous nous posons beaucoup de questions : non prise en compte de certaines de nos demandes sur certains points de l’ordonnance, la Biologie de nouveau mise à contribution dans le cadre du PLFSS 2010, rapport à charge de la Cour des Comptes, que cherche-t-on du côté de nos dirigeants ? Il est temps que le gouvernement se positionne clairement sur l’avenir qu’il entend donner à notre Profession, et que l’on dépasse enfin les à priori, les effets d’annonce politiques pour se concentrer sur l’essentiel qui est d’offrir aux français une qualité de soins conservée, au meilleur coût pour la société.
La Cour ne semble en aucun cas avoir pris la mesure de la Réforme en cours ni des engagements de la profession, comment peut-elle traiter si légèrement de ce sujet alors que la démarche qu’elle a entreprise ne l’a probablement été par aucune autre dans le domaine de la santé ou des professions libérales?
Nous sommes bien conscients des défis de l’avenir, de la nécessité de réorganiser et faire évoluer notre profession, de prouver notre compétence, de travailler sur de nouveaux modes de rémunération, de réviser la nomenclature, mais cette réorganisation ne peut ni se faire sans l’accompagnement des professionnels, ni par la seule pression économique, ni avec brutalité. Ces défis, nous saurons les relever sans les financiers. Notre discipline ne peut que se développer, elle est un élément essentiel du système de santé de demain. Il est important que nous soyons compétitifs et pour cela que nous puissions avoir les moyens de nos ambitions, et vouloir limiter son évolution à des baisses de tarif et à une industrialisation du secteur n’est ni imaginatif, ni constructif pour l’avenir du système de santé et pour les dépense publiques. Le challenge qu’est prêt à relever la Profession est d’une autre consistance, mais il nécessite qu’on la respecte et qu’on lui fasse confiance.
Jean Benoît,
Président du Syndicat des Biologistes
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 04 décembre à 23:55
Que peut répondre M. Jean Benoit au fait que les biologistes ont des revenus si élevés et leurs salariés des salaires si bas?