Un officier de gendarmerie, Jean-Hugues Mately (v. wikipédia ) par ailleurs chercheur associé dans un centre de recherches universitaires, a publié dans la revue “Les Cahiers de la Sécurité Intérieure “ (éditée par “l‘Institut national des hautes études de sécurité” - établissement public) un article critique sur le management dans la gendarmerie et l’usage des statistiques. Ses analyses ont été ensuite exposées dans la presse, notamment dans un entretien au journal “Libération“. Ce dernier article a conduit les supérieurs hiérarchiques de l’officier à lui donner ordre de ne plus communiquer avec la presse puis, dans un second temps, a un blâme pour s’être exprimé dans les médias sans en demander l’autorisation préalable à sa hiérarchie (exigence de la loi de 1972 portant statut des militaires, supprimée par une loi du 24 mars 2005). Aucun des recours contre la première décision ne prospéra et, si la décision de sanction fut annulée par le Conseil d’Etat, c’est uniquement pour une irrégularité de procédure qui ne permit donc pas à l’officier d’être indemnisé des conséquences de cette sanction. Il est à noter que d’autres écrits plus récents de l’intéressé lui valent encore aujourd’hui d’autres poursuites disciplinaires (v. CE 7 juin 2006, n°275 601 ).
Sur le terrain de la recevabilité de la requête, qui alléguait notamment d’une violation de la liberté d’expression (Art 10), la Cour européenne des droits de l’homme admet que l’ordre de ne plus s’exprimer dans les médias ainsi que la sanction constituent une ingérence au sein de cette liberté. Poursuivant son analyse, elle juge cette ingérence conforme au paragraphe second de l’article 10 car elle était prévue par la loi française, poursuivait le but légitime de « défen[se de] l’ordre dans les forces armées » et n’était pas disproportionnée. A l’appui de cette conclusion, la Cour rappelle que si « l’article 10 ne s’arrête pas aux portes des casernes », les « particularités de la condition militaire et […] ses conséquences sur la situation des membres des forces armées » peuvent permettre à « l’Etat [d’] imposer des restrictions à la liberté d’expression là où existe une menace réelle pour la discipline militaire ». La reconnaissance d’une « certaine marge d’appréciation » au bénéfice des autorités nationales procède de ce constat. A la lueur de ces principes, la Cour énonce « qu’en embrassant une carrière militaire, le requérant a accepté les devoirs et responsabilités liés à la vie militaire et ne pouvait méconnaître les obligations dérivant de son statut particulier ». Or, elle considère que « les propos tenus par le requérant dans les différents médias, [notamment sur] une manipulation des chiffres de la délinquance par les officiers de gendarmerie […] sont de nature à porter atteinte à la crédibilité de ce corps militaire, et à la confiance du public dans l’action de la gendarmerie elle-même » et critique « l’absence de toute tentative [du requérant] de rechercher au préalable l’approbation de ses supérieurs hiérarchiques ». Parallèlement, les juges strasbourgeois soulignent positivement l’attitude des autorités internes en saluant « leur analyse minutieuse des faits de la cause », le « caractère limité de l’interdiction de communiquer avec la presse » et « la gravité modérée » de la sanction disciplinaire.
Le grief tiré de l’article 10 est donc jugé manifestement mal fondé (Art. 34.3), d’où la décision d’irrecevabilité de la requête.
Le raisonnement des juges européens repose sur la distinction entre les deux qualités du requérant, chercheur et militaire. Ils relèvent ainsi que l’article publié dans la revue spécialisée - sous entendu, en qualité de chercheur - n’a pas suscité d’opposition de la part des autorités militaires, contrairement aux propos tenus dans la presse, et que l’article de presse litigieux présentait le requérant comme « capitaine de gendarmerie ». Il est cependant regrettable que la Cour ait, par cette approche quelque peu formaliste, décidé d’occulter totalement le fait que le requérant était convié à s’exprimer dans la presse dans le prolongement de ses travaux de recherche. Une telle prise en compte de cette donnée aurait permis de juger moins sévèrement les critiques formulées contre des pratiques au sein de la gendarmerie par un de ses membres, étayées par ses propres recherches. Ceci aurait aussi fait écho à une solution récente où la Cour a insisté sur « l’importance de la liberté universitaire, qui comprend la liberté des universitaires d’exprimer librement leurs opinions au sujet de l’institution ou du système dans lequel ils travaillent et la liberté de diffuser sans restriction le savoir et la vérité » (Cour EDH, 2e Sect. 23 juin 2009, Sorguç c. Turquie, req. n° 17089/03 , § 35 - Trad. de l’anglais - V. Lettre actualité du même jour).
Matelly c. France (Cour EDH, Dec. 5e Sect. 15 septembre 2009, req. n° 30330/04 )