Dans le domaine de l'armement nucléaire, l'Algérie doit être classée dans les pays « à risque » du point de vue de la prolifération. C'est là l'une des principales conclusions de Bruno Tertrais. Cet expert français, spécialiste des questions internationales, travaille depuis plus d'une décennie sur le dossier nucléaire. Il vient de publier un livre-événement : « Le marché noir de la bombe ». Un long chapitre y est réservé au projet de la bombe atomique algérienne. Analyse :
Le dossier du projet algérien de fabrication d'une bombe atomique refait surface. C'est l'expert français de renommée internationale, Bruno Tertrais, qui vient de briser le silence sur ce sujet. A travers son nouvel ouvrage « Le marché noir de la bombe » qu'il vient de publier chez Buchet-Chastel, cet expert démontre que l'Algérie reste encore un pays suspect en ce qui concerne l'armement nucléaire. Au terme d'une recherche approfondie sur la question, Bruno Tertrais est formel. « L'Algérie est un autre candidat possible au statut de puissance nucléaire. Ses capacités dans ce domaine sont peu connues, mais pourtant bien réelles », écrit-il dans le long chapitre qu'il réserve dans son livre au projet algérien. « Le programme secret conduit par l'armée algérienne n'a été découvert que très tard », rappelle-t-il, avant de donner ces détails précis : « En 1991, l'Agence internationale pour l'énergie atomique savait que l'Algérie s'était dotée d'un petit réacteur de fabrication argentine, et qui était entré en service deux ans auparavant. Ce réacteur à eau légère dénommé « Nour » (lumière) de faible puissance (un mégawatt thermique), était surveillé et ne comportait pas de risque de prolifération. Mais ce que l'Agence ne savait pas, c'est que l'armée algérienne avait signé, en 1983, un accord avec la Chine pour la fourniture d'une installation beaucoup plus importante. Un réacteur de quinze mégawatts thermiques, dénommé es-Salam (paix) avait été construit à la fin des années 1980, dans le secret le plus total, sur le site d'Aïn Oussera, dans le désert du Sahara, à deux cent cinquante kilomètres au sud de la capitale. Il n'a été découvert qu'en 1991 par les satellites américains. Utilisant l'eau lourde comme fluide modérateur, il se prêterait assez facilement à une utilisation militaire : il pourrait permettre, à partir d'uranium naturel, de produire en un an assez de plutonium de la qualité nécessaire pour une bombe ». S'appuyant sur le témoignage d'un ancien ministre en fonction à l'époque, qui n'avait pas été tenu au courant du programme nucléaire de son pays, l'auteur souligne : « cela ne fait aucun doute : les militaires voulaient disposer d'une 'option nucléaire' ».
Et maintenant ?
Qu'en est-il du fou projet algérien aujourd'hui ? « Le réacteur étant opérationnel depuis 1992, l'Algérie pourrait disposer aujourd'hui de combustible irradié ayant refroidi plus de dix ans, ce qui rendrait sa manipulation plus facile. Il est possible que certaines barres de combustible aient été retirées sans que l'AIEA soit avertie », répond l'auteur. Et d'ajouter : « au regard des sources publiques, le statut exact des capacités actuelles de l'Algérie en matière de séparation de plutonium reste incertain. Plusieurs bâtiments du complexe d'Aïn Oussera ont été identifiés par des analystes comme pouvant accueillir de telles installations - mais l'AIEA n'y a pas eu accès. Un analyste israélien parle de capacités « dormantes » mais réelles ». Autre raison évoquée : « l'Algérie dispose également d'une usine de fabrication de combustible et de réserves d'uranium significatives. Elle est ainsi l'un des seuls pays du Moyen-Orient qui pourrait prétendre à un programme nucléaire entièrement autonome ».
« Certes, Alger n'a probablement pas de raison immédiate de lancer ou de relancer des activités dédiées au nucléaire militaire. De fait, en dépit de relations traditionnellement difficiles avec certains de ses voisins (Libye, Maroc), aucun d'entre eux ne constitue aujourd'hui une menace militaire immédiate. Alger prétend d'ailleurs ne pas être intéressée par l'enrichissement ou le retraitement. Mais les caractéristiques de son programme, son soutien ouvert à l'Iran, et son refus de souscrire au Protocole additionnel de vérification de l'AIEA, attisent les soupçons et ne peuvent que conduire à la conclusion que l'Algérie doit être classée dans les pays « à risque » du point de vue de la prolifération ». Si Alger n'a rien à se reprocher, s'interroge l'auteur, pourquoi les autorités algériennes n'ont toujours pas ratifié le texte du protocole additionnel concernant leur pays. Ce document a été pourtant approuvé par l'AIEA depuis 2004.
« Le moins que l'on puisse dire est qu'Alger ne semble pas pressé de voir les inspecteurs de l'Agence mettre leur nez dans ses installations nucléaires. Pour des raisons de statut, elle pourrait ne pas vouloir laisser l'Arabie Saoudite, et surtout l'Égypte, devenir la première puissance nucléaire arabe. Un éventuel programme nucléaire militaire pourrait aussi contribuer, comme cela a été le cas au Pakistan par le passé, à garantir la pérennité du contrôle de l'armée sur le régime », conclut Bruno Tertrais.
Focus
- « Si l'armée avait laissé le Front islamique du salut (FIS) remporter le deuxième tour des élections législatives en janvier 1992 - au lieu de les annuler, au prix d'une terrible guerre civile dans les années qui suivirent - l'Algérie serait peut-être aujourd'hui gouvernée par un régime islamiste disposant de l'arme atomique... », peut-on lire dans « Le marché noir de la bombe »
- « L'Algérie dispose d'une infrastructure nucléaire très importante, quasiment équivalente à celle de l'Égypte, et de solides compétences scientifiques et technologiques dans ce domaine, fédérées par plusieurs institutions de recherche (notamment le Centre des sciences et de la technologie nucléaires) », écrit Bruno Tertrais.
Fébrilité des autorités algériennes
Comme le relèvent différents spécialistes des questions nucléaires, Alger se montre à chaque fois fébrile dès que des questions sur son arsenal militaire nucléaire sont posées. C'est encore le cas aujourd'hui avec la publication du livre « Le marché noir de la bombe ». C'était aussi le cas en 1991. Cet extrait du livre de Brunon Tertrais est édifiant à ce sujet : « après la découverte du réacteur, les soupçons furent attisés par le rappel par Londres, le 10 avril 1991, du colonel William Cross, l'attaché militaire britannique en poste à Alger. Ce rappel avait été exigé par le gouvernement algérien, l'officier ayant eu l'idée de s'approcher un peu trop près de la base d'Aïn Oussera. Le lendemain, l'existence du réacteur est révélée publiquement par un article du Washington Times, sous la plume du journaliste Bill Gertz (spécialisé dans les fuites, calculées ou non, en provenance du Pentagone et des services de renseignement) ».
Le problème c'est que les responsables algériens qui pilotaient le projet de la bombe atomique, ont su si bien gagner du temps, même si leur projet est sorti du domaine du secret. « L'Algérie s'apprêtait alors à mettre en service le réacteur d'es-Salam. La révélation publique de l'existence du réacteur la força à déclarer son existence à l'AIEA et de le mettre sous le contrôle de l'Agence. Sans doute les dirigeants algériens n'avaient-ils guère le choix : le gouvernement était en difficulté, et dépendant de l'assistance étrangère. Mais les questions relatives au programme algérien restent d'autant plus pertinentes qu'après la mise en service du réacteur es-Salam, Pékin a poursuivi sa coopération avec Alger au travers de deux contrats signés en 1996, qui concernaient la production d'isotopes et la construction de cellules chaudes », écrit Tertrais.
Alger adopte aujourd'hui encore la même attitude. Dès après la publication du livre de Bruno Tertrais, le ministre algérien de l'Énergie et de Mines, Chakib Khelil a répliqué que son pays « est en train de mettre en place les mesures qui lui permettraient de signer le protocole additionnel au Traité de non-prolifération des armes nucléaires ». C'est d'ailleurs ce que laissent entendre les responsables algériens à chaque fois qu'ils sont interpellés sur le programme nucléaire de leur pays. « L'Algérie est soumise à toutes les inspections de l'AIEA (Agence internationale pour l'énergie atomique). Donc, tout le monde sait que nous sommes transparents et ouverts à toutes ces inspections. Ce qui n'est pas le cas, peut-être, de beaucoup de pays qui s'érigent en juges des autres », a lancé le même responsable qui n'a pas pu cacher son irritation.
Seulement, les déclarations officielles ne suffisent pas à l'Algérie pour montrer sa bonne foi à l'Agence internationale de l'énergie atomique et à la communauté internationale. Alger doit ouvrir effectivement les portes des centres secrets situés près du village de Aïn Oussera où un second réacteur susceptible de servir à fabriquer des armes nucléaires serait en construction, comme le confirment différents experts internationaux.
Pour rappel, bien avant Bruno Tertrais, le spécialiste américain Henry Sokolski, a publié un ouvrage intitulé « America's Campaign Against Strategic Weapons Proliferation » (La campagne américaine contre la prolifération des armes stratégiques), où il a plaidé en faveur de «la nécessité» de stopper les programmes nucléaires de la Corée du Nord, de l'Iran, de la Syrie, du Pakistan, de l'Arabie Saoudite et de l'Algérie. Selon cet expert de renommée internationale, ces pays constituent « un danger pour l'humanité ». Bien sûr que cette conclusion pourrait être contestable du fait que Sokolski n'inclut pas Israël dans sa liste, mais il n'en demeure pas moins que là encore l'Algérie est pointée du doigt dans le domaine de l'armement nucléaire. Ce qui est loin d'être le fruit d'un hasard. Encore moins d'une « cabale contre l'Algérie » comme le laissent entendre certains journalistes algériens. Eux-mêmes doivent être les premiers à pousser les autorités de leur pays à lever toute zone d'ombre sur le dossier du nucléaire militaire. Pour cela, il n'y a pas 36 mille solutions. Il suffit que l'AIEA puisse inspecter tous les lieux suspects pour qu'elle établisse son rapport officiel en connaissance de cause. C'est quand ce rapport sera publié, que tout le monde en aura le cœur net. Mais pas avant. Surtout qu'il est quand même bizarre que monsieur le ministre algérien de l'Energie puisse déclarer en février de cette année que vers 2020 son pays aura sa première centrale nucléaire et qu'il aura ensuite une centrale tous les cinq ans, avant de revenir sur ses paroles cinq mois plus tard pour dire : « l'énergie nucléaire n'est plus une priorité pour l'Algérie ». N'est-ce pas étonnant ?
Mohamed ZAINABI
Source du texte : LeReporter.ma
LES COMMENTAIRES (3)
posté le 06 juin à 00:17
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posté le 06 juin à 00:14
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posté le 04 février à 13:08
Quelle bombe mon frere. écoute :ce sont juste des remurds gonflés.On cherchera d'abord sur la sécurité alimentaire et après le projet atomique sera un reve legale.Ingenieur mécaniques .......MERCI.