Je n’ai pas fini avec cette histoire de crotale -d’ailleurs est-ce bien un crotale ?- car en continuant la lecture de Comment j’ai écrit certains de mes livres, on découvre une partie où sont regroupés dix-sept textes sous le titre : Textes de grande jeunesse ou textes-génèse. Et on en trouve un sous le titre de “Les anneaux du Gros Serpent à Sonnettes“. Ça nous rappelle quelque chose ! Comparons.
Les anneaux du gros serpent à sonnettes se resserraient convulsivement sur la victime au moment où je levais les yeux. Jetant loin de moi le livre qui me captivait, je ne fis qu’un bond jusqu’à l’endroit fatal, et, tirant un couteau passé à ma ceinture, je frappai le monstre au beau milieu de la tête.
Dans cette version, Raymond Roussel utilise un couteau plutôt qu’un revolver. C’est beaucoup plus sportif. Ceci dit, ça n’a pas l’air de lui poser un gros problème puisqu’il n’y a pas de lutte, le premier coup est le bon.
Pas une goutte de sang ne jaillit ; le boa tué net tomba de lui-même en se déroulant à demi.
Vous avez remarqué : le crotale devient un boa. Cependant, Raymond Roussel aurait dû se renseigner car le boa n’a pas de sonnettes. Les sonnettes sont indispensables au récit puisque grâce au jeu des métagrammes, elles doivent devenir des sonnets.
Un homme parut alors, enjamba le corps du reptile et vint se mettre à genoux pour me serrer les mains avec émotion.
Et qui reconnus-je à ce moment dans celui que je venais de sauver ?
Mon gros Fermoir lui-même, mon ami, mon brave Breton à boucle d’oreilles, mon poète, mon cher musicien surtout, qui si souvent m’avait ému par les sons de sa vieille trompe d’église si profondément mélancolique.
L’histoire de Fermoir était touchante. Né dans un petit port du Finistère, il avait d’abord été enfant de choeur, puis sonneur, dans la vieille église qu’il aimait tant. Et chaque dimanche il charmait les fidèles en jouant de lentes mélodies du pays sur sa trompe si étrangement biscornue.
Sylvestre est devenu Fermoir. Les noms des personnages chez Roussel sont souvent des noms désignant des objets : Débarras, Soupe, Crin, Volcan, Broderie….
La muse le visitait souvent et son dieu était Arvers.
Arvers ? Il s’agit d’ Alexis-Félix Arvers, poète et dramaturge français né à Paris le 23 juillet 1806 et décédé dans la même ville le 7 novembre 1850, devant toute sa réputation à son Sonnet, l’une des pièces poétiques les plus populaires de son siècle. Un sonnet ? Nous y sommes. Le voici, le sonnet d’Arvers :
Mon âme a son secret, ma vie a son mystère :
Un amour éternel en un moment conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire,
Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su.
Hélas ! j’aurai passé près d’elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire,
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.
Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite, et sans entendre
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas ;
À l’austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle :
« Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas.
Ce sonnet de quatorze vers était au XIX siècle sur toutes les lèvres. Le mystère de la femme en question y est peut-être pour quelque chose. Diverses hypothèses sur son identité circulaient : Marie Nodier (c’est sur son cahier qu’il écrivit ce sonnet), Madame Victor Hugo (les pénultien et anté-pénultien vers se terminent par “fidèle” et “elle” ce qui rimerait avec Adèle).
Revenons à notre Fermoir :
Il avait plusieurs cahiers remplis de courtes poésies de quatorze vers chacune et l’on y trouvait de charmantes choses sur la mer, les falaises, la foi et l’amour.
On comprend qu’Arvers fût son dieu !
Alors, cette histoire se termine toujours avec le même procédé expliqué dans un article précédent.
Les anneaux du gros serpent à sonnet.
Entre le début et la fin, c’est toujours autant tiré par les cheveux, je vous assure.