Miss Charity
Marie-Aude Murail
« Un auteur à succès ? Dans notre famille ! Je savais bien que tout cela finirait mal. »
1880. Charity est une petite fille intelligente et curieuse qui, comme toutes petites filles de son rang et de son époque, se doit de passer ses journées à la nurserie en compagnie de sa bonne. Partager un repas avec ses parents est un évènement destiné aux grandes occasions dans un monde divisé en deux parties distinctes : ce qui est convenable et ce qui ne l'est pas.
L'ennui peut conduire à la folie. C'est pourquoi Charity fera de sa nurserie une arche de Noé accueillante pour bras et pattes cassées.
Ayant commandé ce livre en ligne, je m'attendais à recevoir un petit livre précieux égal à la très belle collection École des loisirs. Qu'elle ne fut pas ma surprise en découvrant une magnifique reliure recouvrant une épaisseur de 563 pages !
A l'instar de son écrin, cette lecture est une merveille. J'ai résisté à la tentation de ne pas lire trop vite afin de savourer le sourire aux lèvres qui ne m'a pas quitté du début à la fin. Les personnages sont attachants et abordés avec profondeur et justesse. J'ai eu un coup cœur particulier pour les lettres que Charity s'envoie à elle-même. On constate l'ennui et le gâchis du talent des femmes brillantes. On apprend avec grand intérêt de délicieux et effrayants détails propres à cette époque dont voici quelques exemples :
« Une soirée en faveur de la Société pour la diffusion de la Bible chez les Papous, les éléments nécessaires à la réussite d'un pic-nique (il faut prévoir six homards, un roulé de tête de veau, des feuilletés à la confiture, beaucoup de bière, des jeunes gens, une vieillie fille pour les surveiller, trois ou quatre enfants faciles, quelques messieurs mûrs, des ruines à visiter (rien à voir avec les messieurs mûrs), des fraises à cueillir, un orage en fin de journée), l'incontournable et obligatoire morale des livres jeunesse (Alice la désobéissante qui joua avec les allumettes fut réduite en cendres, Gaspard le capricieux refusa de manger sa soupe trois jours de suite et mourut squelettique, Irma la colérique qui battait sa bonne finit sa vie sur un tas d'ordures, Bobby l'agité qui se balança sur sa chaise se fendit le crâne sur le parquet), tout ceci gaiement mis en couleurs et en vers « Conrad ne regarde jamais où il met les pieds. Et voyez le pauvre ! Il est maintenant noyé !) »
Résumer ce livre à une biographie inspirée de Beatrix Potter serait dommage car même si c'est le cas, il est bien plus cela. Cette lecture nous emmène dans un voyage enchanté. On pense à Jane Austen, on est charmé de la visite d'Oscar Wilde et de Georges Bernard Shaw et même si l'on ne possède pas la fibre animale, on tourne la dernière page avec l'envie d'adopter un lapin. Conclusion : j'ai découvert l'écriture fine et délicate de Marie-Aude Murail et je ne vais pas en restez-là ! Je regrette seulement de ne pas l'avoir remarquée avant.
Petit bémol : La couverture cartonnée avantage la beauté de l'objet mais j'ai galéré au début pour ouvrir le livre en entier. Après plusieurs jours, le carton se forme mais comme c'est une lecture jeunesse, je me demande si le beau est ici pratique et ne risque pas de décourager. Si on y réfléchi, c'est aussi un bon moyen de se faire les muscles tout en se nourrissant l'esprit.
L'école des Loisirs, 562 pages, 2008
Quelques perles...
« - Qu'est-ce qu'elle a ? Est-elle malade ?
- Elle est folle. Elle récite du Shakespeare au milieu de tout un ramassis de bestioles !
J'ignore d'où elle tenait son information, mais je dus reconnaître que c'était un assez bon résumé de ma vie. »
« La jeune fille est très difficile pour la conversation, car il y a tout ce qu'elle ne sait pas, et tout ce qu'elle ne doit pas savoir et tout ce qu'elle sait mais qu'elle n'est pas censée savoir. »
« Juliette Capulet avait quatorze ans et il me semblait que si on lui avait offert à son anniversaire Le livre des Nouvelles Merveilles, elle eût mieux employer son temps. Elle aurait pu apprendre comme moi-même que les sporophytes sont des plantes asexuées d'un commerce plus reposant que les Montaigu. »
La blogosphère littéraire est conquise...
Lael, Cuné, Virginie, Leiloona, Saxaoul, Flo, Ori, Laure, Papillon, ....