De Gandhi à Gando, il y a « pullel »
Par une belle après-midi, nous avions décidés d’aller au parc parmi les chèvres, les vaches, les poules et les aires d’enfants.
Nous marchions, certains devisant de leurs déboire du moment, d’autres de leurs heurts récents, et tous évoquant ces petits riens qui pimentent ou sucrent le quotidien. Loin du pays.
Pensif, courbé, mes yeux scrutant les herbes fraîches, mon nez humant les parfums des fleurs, comme pour y puiser quelques remèdes aux maux qui alimentaient nos conversations.
Chemin faisant, je m’interrogeais quand surviendrait-il donc ce jour où tous les Peuls cesseraient de se mépriser et seraient délivrés de cette sorte de ségrégation d’un autre âge entre les clans.
Soudain, un homme tout en sueur, vêtu d’un Tshirt et d’un short noirs, s’approcha, s’excusa de perturber notre promenade et me désigna de la main, « vous, monsieur, vous me rappelez un sage. Un très grand sage qui a marqué l’histoire. Vous devez le connaître. D’ailleurs, même de face, vous lui ressemblez. »
Je fus à la fois confus et troublé.
Quelqu’un se hasarda à lancer à la volée quelques noms d’Africains.
« Non, il s’agit d’un Indien », dit le joggeur.
Et tous de s’exclamer : « Ah, il s’agit de Gandhi !»
« Gandhi, oui, c’est lui ! De dos, je vous ai pris pour lui. De face, vous avez les mêmes traits. »
Un des compagnons, fit gentiment remarquer : « monsieur, vous n’avez pas tort. D’ailleurs, nous le surnommons « Gando » qui signifie celui qui a des connaissances. »
Les minutes qui suivirent, le joggeur parla de sa famille, des immigrés kabyles qui parlent encore le dialecte du pays et pratiquent leur religion.
Ce que lui, avoua-t-il, ne fait pas. A présent, il voudrait bien se mettre à prier pour satisfaire le vœu de son père.
Et quelqu’un de lui expliquer qu’il vaut mieux que cela vienne de lui-même car la foi est une question de rapport personnel avec Dieu. Il parut satisfait et prit congé.
Etrange ! En effet, bien étrange, car au moment où ce kabyle m’assimilait moi un Gorko pullo à Gandhi, je ne pus m’empêcher de penser à la mésaventure de cette jeune dame peule rejetée des siens qui estimaient qu’elle n’avait aucune jambe (attache) qui l’accrocherait à leur ancêtre dont leur association familiale porte le nom.
A défaut de cette « jambe », elle avait été affublée du vocable réducteur de « pulell ». Elle se sentait humiliée.
Reprenant mon souffle, je méditais sur le sort qui peut s’abattre sur les mortels que nous sommes.
Tandis qu’un étranger m’intégrait dans une communauté étrangère, une jeune dame était exclue des siens. C’est beau et singulier à la fois.
De Gandhi à Gando, s’il n’y avait qu’une lettre !