A propos de La Horde sauvage, je parlais d'une complicité entre l'enfant et le général sanguinaire, comme si l'enfant, par définition, était fasciné par le décorum et la geste militaire. En voyant Croix de fer, je me suis demandé si ce n'était pas l'inverse, si pour Peckinpah toute guerre n'était pas le jeu infernal du retour en enfance. Une marche forcée vers l'univers édulcoré des costumes, des médailles, des bons points, ou des croix de fer. D'ailleurs le titre du film vient de là: cet aristocrate de capitaine veut la décoration suprême pour faire honneur à sa famille, comme on veut une bonne note pour faire plaisir à ses parents. Le générique, où sont intercalés les chansons enfantines et les tambours de défilés militaires, installe bien cette confusion mimétique: on ne sait plus qui imite qui - du reste ils ne le savent probablement pas, eux non plus.
On retient en tout cas de tout ceci l'art singulier des associations explosives. Ce talent qu'a Peckinpah pour les coupures, pour les longues séquences criblées de plans courts, conduisant ou ne conduisant pas à l'analogie. Contrairement à The Wild bunch, il n'y a pas seulement là l'alliance insolite de l'instinct et de l'analyse, de l'homme et de la bête. La troupe dont il est question est ici d'autant plus sauvage que le film a une découpe de plus en plus arbitraire, semblant produire de moins en moins de sens, jusqu'à la folie, juqu'à l'hallucination. C'est que l'important n'est pas tant pour Peckinpah la finalité de ces confrontations visuelles que l'effet même de ces mises en regard. Que cela aille ou non quelque part, ce que recherche le cinéaste, c'est le choc thermique, et éventuellement les étincelles.
"Mise en regard", l'expression n'est pas vaine pour évoquer Croix de fer. Nous en avons parlé comme art du découpage, mais elle a aussi chez Peckinpah une signification littérale. S'il les plans se répondent, s'incluent, s'excluent à toute vitesse, c'est aussi qu'ils sont des points de vue, des regards posés sur le reste du monde. C'est l'aspect western de ce film de guerre, que de tant appuyer les regards - d'observation, d'émotion ou de confrontation. Et c'est dans le regard que réside le désir. A nouveau, l'enfance comme instant privilégié - innocent ou non - du désir de croissance peut permettre de comprendre ce qui s'échange dans le regard du caporal Steiner et le jeune prisonnier russe - la pure et enfantine "envie d'être grand" et la volonté de puissance.
L'immense James Coburn, car c'est lui le caporal Steiner, compose un national-anarchiste qui ne supporte pas l'apparat et les traditions de l'aristocratie prussienne. Croix de fer est l'histoire de son face à face avec un représentant de cette classe honnie (le capitaine). Un débat muet sur l'origine secrète de leur envie de se battre - l'un effectivement, l'autre virtuellement. La guerre est faite, au fond, de ces jeux de regard, de puissance et d'explosion. Mais cela commence plus simplement encore: il y a le regard inquisiteur du capitaine sur son second lançant des oeillades trop insistantes au jeune homme qui l'accompagne - c'est le désir qui se regarde lui-même - ou même la découverte, par notre troupe euphorique, d'une section de femmes russe qui ne se laisse pas faire - révélation: l'ennemi est une femme!