Lecture bien construite avec une introduction par Gisèle Berkman (directrice de
programme au Collège International de Philosophie et spécialiste des écritures
de la pensée, du xviiie
au xxe siècle – tout ceci
évidemment très significatif dans le contexte de cette lecture), puis une
lecture par le poète, un court débat entre lui et Gisèle Berkman et de nouveau
une lecture.
Lors d’une courte discussion, la question de la lecture à haute voix est évoquée
en premier lieu, et J.-L. Giovannoni raconte comme il a trouvé son actuelle
façon de lire, non pas à ses tout débuts de lecteur de sa poésie, mais plus
tard, après avoir travaillé avec une chorégraphe, qui lui a permis de « découvrir
la voix qu’il cachait ». Qu’il y a dans l’écriture comme dans la lecture
un même travail sur les intensités et les
charges à l’intérieur du texte. Il va surtout développer l’idée de la
tension entre l’interne et l’espace, perçu aussi comme espace de dégagement car
« l’interne n’a pas de lieu ». Il y a une perpétuelle relance, aucune
position stable n’est possible. Et d’évoquer alors son univers professionnel,
qui est celui de la psychiatrie, pour expliquer que souvent chez le malade
mental, il n’y a pas de point d’appui. L’écriture est une tentative de trouver « un
lieu où ça s’appuie, où je peux m’appuyer et ça n’existe que dans le mouvement
psychique ». Mais en même temps, « toute chose posée, si elle n’est
pas réanimée, s’enkyste ou pire, devient évidente ». Et c’est là pour lui
précisément le travail d’un poète : relancer les mots usés, l’évidence,
leur redonner pulpe, chair, mouvement, « réanimer les corps mourants des
mots ». Gisèle Berkman souligne à quel point ces textes « touchent à
la pensée, mettent en jeu quelque chose de très pensif », elle évoque les
deux « traités » écrits par le poète, Le Traité de physique parantale (à propos de Jean-Luc Parant) et Le Traité de la toile cirée, mais constate
qu’il n’y a là en rien un corps de doctrine. Jean-Louis Giovannoni explique qu’en
effet ce qui le retient chez les philosophes qu’il lit, c’est la « vitesse
de propulsion du concept » et ce qu’ils provoquent en lui.
La dernière partie de la rencontre sera dévolue à la lecture intégrale du texte
Variations à partir d’une phrase de
Friedrich Hölderlin. Cette phrase, la voici : « Tout est un
intérieur / et pourtant sépare ». Jean-Louis Giovannoni, qui est fin connaisseur
de musique, explique le principe de la variation sur un thème« je te le perds et en même temps je te
le garde » (la dimension d’humour n’est pas absente de cet univers très
sombre, comme quelqu’un le soulignera à la fin de la rencontre !). Il
insiste aussi sur la notion de mobilité constante du psychisme. Il livrera enfin
quelques considérations sur sa façon de travailler : il trouve d’abord le
titre, qui est à la fois « un système d’arrimage, une rambarde et en même
temps ce qui va le propulser », comme le fit en son temps la phrase d’Hölderlin.
Il laisse « faire les mots, les intensités qui se mettent en place ».
Il faut, dit-il, « s’autoriser » à laisser parler les voix, jusqu’à
la peur si c’est nécessaire. A propos de son livre Traité de la toile cirée, il dira qu’il trouvait ce texte « ignoble »,
qu’il aurait eu besoin de Primpéran tandis
qu’il l’écrivait et qu’il a mis des années à le supporter. Qu’avec ce livre, il
a « ouvert les vannes » et que « ça s’est emballé » : « soulever
l’évidence et ce qui la fonde, ça risque d’attaquer l’unité ».
Contribution et photos de Florence Trocmé
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