Les recettes et … leur histoire , de l’oncle Chambolle
Jean-Roch avance sans hésiter entre les troncs des sapins. De temps en temps, il s’arrête un instant, écoute puis reprend sa marche en avant. Soudain il s’immobilise. Il a entendu un bruit qu’il reconnaîtrait entre mille : Quand, à six ans, on s’est fait pincer les mollets par un jars on n’oublie pas le cri d’une oie. Avec le sourire du renard qui trouve ouverte la porte d’une basse-cour, il quitte la piste et s’enfonce sous les arbres (on n’est jamais trop prudent et il faut éviter les guetteurs éventuels) puis il repart en direction des volatiles qui continuent leur concert. Précaution inutile. Il n’y a personne près de l’enclos où une dizaine d’oies cacacardent à qui mieux mieux. Et quelles oies mes amis ! Grasses à souhait, l’œil vif, le plumage brillant, le jabot bien rempli, des oies dignes d’un roi. Que dis-je d’un roi, d’un empereur ! « Et pourquoi pas d’un grenadier de la garde ? » En moins de temps qu’il n’en faut au colonel du régiment pour commander la charge, le grognard expédie les deux plus belles.
Avant de s’en retourner, il jette un coup d’œil au fouillis de petits sapins plantés là il y a deux ou trois ans et qui poussent tout de guingois. « J’vas le r’mettre d’aplomb ! » En manière de jeu, Jean-Roch en a saisi le plus proche par la pointe. Surprise ! L’arbre vient sans résister. Même chose avec son voisin et pareil avec le suivant. Sous la terre remuée, apparaît le couvercle d’un tonneau. Le grenadier sifflote sur deux tons. Finie la lavasse ! Il vient sûrement de trouver une de ces fameuses caches où ces malins de paysans camouflent leurs réserves.
Le temps de courir au village prévenir les camarades, de revenir avec des pelles, des pioches et une carriole et la cache est bientôt nettoyée. Le soir, avant de s’endormir, Jean-Roch soupire d’aise. Blanchard, le cuisinier de la compagnie, un normand du pays de Caux, a eu une fameuse idée de préparer ses oies avec les petites pommes entassées dans un des tonneaux tirés de la cachette et la tassée d’eau-de-vie qui a suivi et qui venait du même endroit lui promet une nuit toute pleine de rêves dorés. Avec un peu de chance, il sera bientôt caporal et pourquoi pas sergent, lieutenant et même… capitaine… « Moi capitaine ! Faudrait que j’sache lire et écrire!» Il hausse les épaules, il tire sur lui sa grosse capote de laine bleue et il s’endort sans imaginer un instantque, quarante ans plus tard, à Auxerre , chez le libraire Perriquet on imprimera, en deux tomes in-octavo, un livre que son auteur, un vieux de la vieille signera de son nom et de son grade : « Capitaine Jean-Roch Coignet » L’oie aux pommes
Une belle oie – 120 g de beurre – un décilitre de calvados ou de goutte de pommes poyaudines – deux kg de pommes légèrement acides – le jus d’un citron –
En plus il faut pour :
la première farce : deux pommes et un bol de mie de pain rassis
la deuxième farce : quatre pommes – 150 g de jambon cuit – 2 jaunes d’œufs – sel – poivre – thym et laurier .
Pelez deux pommes, émincez les, hachez les grossièrement puis mélangez les aux 150 g de mie de pain rassis. Remplissez l’intérieur de l’oie que vous mettez dans un plat sans aucune matière grasse dans un four chaud. Après vingt minutes, sortez l’oiseau. Jetez la farce, quant au gras qui s’est écoulé, vous pouvez, au choix, le jeter lui aussi ou le récupérer. Je conseille aux amateurs la seconde option. Des pommes de terre sautées à la graisse d’oie sont un pur délice.
Pendant ces vingt minutes vous avez préparé une seconde farce avec les jaunes d’œuf, le sel, le poivre, le laurier et le thym émiettés, les quatre pommes et le jambon, ces deux derniers ingrédients, finement hachés. Remplissez en l’oie que vous remettez au four avec 20 g de beurre. Laissez cuire un peu plus d’une heure en arrosant souvent. A la fin de la cuisson sortez du four, versez les deux tiers de l’alcool sur l’oie et flambez.
D’autre part vous aurez fait fondre dans une sauteuse 100 g de beurre. Rangez y les pommes qui vous restent (au moins un kilo) pelées et coupées en grosses tranches. Poivrez, couvrez, laisser cuire à feu moyen une dizaine de minutes (il faut qu’elles restent fermes). Les flamber avec le reste de l’alcool.
Servir très chaud avec la sauce dégraissée autant qu’il est possible.
Pour boire, je ne conseille pas le fil-en-quatre, qui ne s’excuse que par la rigueur des temps vécus par le capitaine Coignet et je laisse à l’humeur et au goût de chacun le soin de choisir le vin qui accompagnera cette oie. J’ai, personnellement, trois bons souvenirs dûs respectivement à un solide Nuits Saint Georges, à un Saint Romain inattendu et à un Chinon dont j’ignore tout de qui l’a produit sauf que c’était un honnête homme.
Chambolle