Nathalie Pages est née le 31 mai 1971, habite à Paris dans un 70 mètres carrés situé au 40, rue de la Justice dans le 20ème arrondissement, a trois enfants de deux lits différents, et effectue en ce moment une mission d'intérim au service comptabilité de L'Oréal. Cela suffit à présenter quelqu'un. Cela suffit, sauf que. Sauf que Nathalie n'existe pas. Nathalie est un personnage de fiction écrit par les statistiques. Née des écritures publiques, comme d'autres des écritures, disons, bibliques. Ou biologiques. Son ADN à elle, c'est son positionnement dans les diagrammes des sondeurs et des marketeurs. Elle sait, comme nous tous, que les statistiques sont plus puissantes aujourd'hui à nous définir que bien d'autres écritures : au XIXème siècle on lisait Zola ou Balzac pour avoir un état du monde ; aujourd'hui, on consulte l'INSEE et l'institut BWA. Elle sait cela, mais malgré tout elle n'est pas tranquille. Elle se sent fragile, un peu. Car elle le sent : elle est un concept aux contours fluctuants, un concept mouvant, un concept migrant. Pour tout dire, un concept deleuzien, au sens où le lit si joliment Dominique Boudou migré lui aussi le temps d'un vendredi sur le site où se déploie d'habitude Nathalie. Elle se dit qu'elle est à la merci du moindre renversement de tendance, du moindre infléchissement de courbe. Elle se dit que si les sondages se mettent à tousser, elle sera la première à y passer. Je suis donc aujourd'hui sur le blog de Cécile Portier, Petite racine. Cécile Portier a publié en 2008 contact aux éditions du Seuil dans la collection Déplacements dirigée par François Bon, lequel est aussi l'inspirateur de cet échange du vendredi entre blogueuses et blogueurs. Graphique tiré du parisien.fr ; sondage sur les Français et la grippe A.