Il n’est pas celui du groupe Indochine mais celui des fonds communs et SICAV : la gestion, c’est fini. Entre le trading (qui joue les écarts à court terme) et le private equity (qui joue les fondamentaux à long terme) – il n’y a plus RIEN. Le monde financier est en crise dès 1999. Depuis cette « exubérance irrationnelle », suivant le mot célèbre d’Alan, le chaos s’installe :
- krach 2000 des actions technologiques mal analysées (les analystes actualisaient des bénéfices promis et des actifs immatériels) et mal vendues (tout le monde suivait le voisin sans regarder au fond) ;
- krach 2001 géopolitique des attentats du 11-Septembre et faillite américaine de la guerre en Afghanistan puis en Irak, avec revendications iraniennes et instrumentation du Hamas autour d’Israël et double jeu pakistanais et saoudien ;
- krach 2007 des subprimes pour cause de mal contrôle des autorités publiques, avec la pire crise du système financier depuis 1929, suivie d’une récession économique et d’un changement radical de modèle de production. Le capitalisme financier anglo-saxon est probablement fini au profit du capitalisme « durable », de type asiatique (service au client japonais, clanisme chinois, social business indien de Mohammed Yunus ou de la voiture Tata à 1000€).
Avez-nous noté que 1929 + 70 ans = 1999 ? Or, 70 ans, c’est en gros la révolution d’un cycle long Kondratiev. Nous changeons de cycle, nous voici dans un nouveau processus d’innovations technologiques, avec son cortège de remises en causes industrielles et de bouleversement des habitudes acquises :
- exit le fordisme hiérarchique où une poignée de technocrates savants mènent des manœuvres ignorants ;
- exit la culture publique du je-m’en-foutisme et du petit travail tranquille, l’opinion qui paye ses impôts réclame des comptes ;
- exit le tout pétrole devenu trop rare et très cher.
Pas facile ! Des États-providence aux monopoles protégés, de la devise nationale dévaluée au gré des nécessités, nous voilà passés aux démocraties ouvertes, aux secteurs déréglementés et aux grandes devises communes… Le modèle industriel fondé sur l’énergie bon marché est à réinventer et un nouvel équilibre ville-campagne à trouver (fin de la culture bagnole et des banlieues interminables et vides). Cela ne va pas sans stress, interrogations existentielles, perte de confiance en l’avenir.
Pourquoi voulez-vous donc que la bourse, cette chambre d’écho de l’économie, soit florissante ? Elle révèle non plus les espoirs de bénéfices des entreprises mais le chacun pour soi de l’égoïsme nanti, la sophistication technocratique des modèles mathématisés, les errements et lâchetés des organismes publics chargés de réguler – toujours trop peu, toujours trop tard. N’avons-nous pas quelques 20 à 30 ans de marasme financier à venir, comme dans les années 1930 à 1960 ?
Les gens d’âge mûr aujourd’hui, quelles perspectives ont-ils ? Stagnation des carrières, voire long chômage ou petits boulots après licenciement, en attendant l’âge légal qui se recule de prendre une retraite qui sera largement amputée de toutes les années non ou mal cotisées… Pourquoi voudriez-vous qu’ils consomment, ces inquiets pour leurs vieux jours ? Placeront-ils leur épargne en bourse pour la valoriser ? Pareil pour les jeunes, surdiplômés ou recalés du système scolaire qui, de stages en boulots précaires, de recherche publique mal payée en recul des salaires à l’embauche pour cause de pléthore d’offre, consomment peu, n’investissent que très tard et se demandent comment ils vont payer pour leur retraite, leur santé en plus de celle des la génération d’avant qui a accumulé les déficits.
- Cela fait près de dix ans que les actions ont touché leur plus haut et qui a acheté en 1999 reste perdant sur les indices.
- Les obligations sont-elles plus attrayantes ? A rendement très bas pour cause de taux au plancher et d’inflation quasi nulle, l’avenir ne peut que leur être défavorable : toute reprise d’inflation, hausse des taux ou augmentation du prélèvement social va amputer allègrement leur rendement !
- Iront-ils vers l’assurance-vie ? Mais c’est toujours investir en actions et obligations, même si elles sont gérées par des professionnels. Et avec les 4.5% de frais d’entrée, c’est 3 ans d’inflation au rythme actuel ou 2 ans de rendement du Livret A qu’il faut désormais rattraper avant d’espérer gagner de l’argent en cas de stagnation des marchés ! Sans parler de la fiscalisation de ces montants immobilisés, qui fait saliver Bercy.
- Que reste-t-il donc aux gens inquiets pour leurs vieux jours : l’immobilier pour au moins se loger et le monétaire. Pas passionnant pour les gestions…
Reste-t-il au moins des « gérants » ? Que nenni ! Le métier s’est éclaté sous la pression du professionnalisme exigé, soit vers l’allocation d’actifs (le métier de stratège), soit vers l’analyse des sociétés (le métier d’analyste), soit vers l’arbitrage, le pari et la couverture (le métier de trader). Les seuls gérants qui restent sont très spécialisés : le monétaire, le rendement, l’indiciel avec garanties ou cliquet de performance, la multigestion – ces gérants trop spéciaux sont sous la coupe des technocrates de direction des gestions. Les dits ‘gérants’, de toute façon trop nombreux, sont de plus en plus des commerciaux et des comptables, leur autonomie de gestion se réduit.
Le grand secret est celui-là : entre les analystes à long terme et les traders du day trading, il n’y a plus rien. Les premiers jouent les actifs décotés ou un concept sectoriel porteur ; les seconds ne prennent que des positions courtes, fondées sur l’analyse technique, au jour le jour. Les gérants sont sans idées, sans pouvoir, sans comprendre des marchés erratiques.
Or pour être un bon trader, il faut des années d’expérience et de discipline (voyez George Soros) ; pour être un bon analyste fondamental aussi (voyez Warren Buffet). Exit donc les particuliers boursicoteurs : ils n’ont ni les moyens techniques, ni l’expérience stratégique, ni les nerfs du trader. S’ils gagnent deux fois, ils vont perdre huit. Sauf coup de chance ou suivisme indiciel. Et cela va durer des années…