Me méfiant de la côte marocaine,
prolongée par un plateau continental peu profond où les flux d’ouest peuvent
générer une mer dangereuse qui drosse l’imprudent à la côte, je n’avais
initialement pas prévu d’y faire escale. Nous avons changé d’avis autant à
cause de conditions météo très stables que de discussions de pontons vantant
Rabat ainsi que le confort et le prix modique de sa toute nouvelle Marina.
Telle une traversée Hyères Calvi, il n’y a que 120 Milles entre Tanger et Rabat.
Ejectés virilement du détroit par un Levante d’une trentaine de nœuds que le
speedo célèbre en affichant une vitesse à deux chiffres pendant les premières
heures, ça se tasse malheureusement très vite et le moteur prend le relai avant
la nuit. Courte tentative pour exploiter un très léger SE, puis à nouveau,
Mr Volvo reprend son chant monotone pendant qu’une brume épaisse et dangereuse
s’installe. Je mets un certain temps à me souvenir que j’ai un radar et enfin,
l’air revient timidement pour les dernières heures. Globalement, cette nav ne
restera pas dans les annales. Seul une sorte de pinson local, manifestement peu
taillé pour le vol océanique, est venu agrémenter mon quart du matin. Il s’est
posé approximativement sur le pont, extenué et incapable d’en repartir.
Refusant le petit-dej que je lui propose, il se laisse pourtant caresser avant
de reprendre son envol deux heures après.
Rabat est effectivement une plaisante
et comfortable escale, en particulier depuis que la Marina Bouregreg est
opérationnelle. Sa jeune réputation parmi les yachties en bourlingue se répand
comme une trainée de poudre. Nous y retrouvons des connaissances de Tanger et
de Ceuta, et y faisons de nouvelles rencontres qui, comme nous, n’avaient pas
prévu de s’y arrêter. Salé va sans aucun doute devenir un nouveau jalon incontournable
de la route des tropiques. Rien à y redire: Idéalement située sur la rivière
Bouregreg qui sépare Rabat de Salé; protégée de toute condition et sécurisée; un
pilote vient vous chercher à l’entrée du port pour vous diriger dans le chenal
de la rivière, pourtant parfaitement balisé; Douane, police et medecin arrivent
immédiatement. Ils sont charmants et les formalités sont vite expédiées. Pour
les amateurs de certaines spécialités locales prohibées, gare quand même à la
brigade canine qui fait partie des invités une fois sur deux, surtout si vous
débarquez de Tanger….; Cateway king size; all included: eau, electricité,
wi-fi, sanitaires et douches. Contraste total avec le port de Tanger, moins pittoresque
bien sûr mais ultra luxe et idéal pour se coller à une bonne session de
disqueuse, vidanges et autres bricoles sans penser douloureusement au crédit
qui chute brutalement à chaque nouvelle nuitée.
Rabat est sage et calme. Sa
fameuse Qasbah des Oudayas est briquée et repeinte de frais. Jolie mais
finalement assez ennuyeuse. Disneyland. Pas grand monde, à part quelques salves
de touristes envoyées par un car sporadique. La Medina est plus vivante et
intéressante mais dégage aussi ce même caractère assagi et légèrement
léthargique. Un tour pour aller saluer Hassan II dans son mausolé très chic et
voilà. Je préfère finalement Salé, dont la Medina se trouve juste à la sortie
de la Marina. Populaire et de prime abord quelconque, elle réserve pourtant de
bon moments: Dans ses marchés moyen-âgeux immenses et actifs à toute heure, un
aveugle sourd pourrait aisément s’y orienter rien qu’aux odeurs: Ici volaille
vivante avant l’étêtage, là menthe, un peu plus loin poisson plus trop frais et
juste après mouton de même, Par là encore, Epices, et…tiens, tiens, double zéro.
J’aime aussi ce barbier austère aimant le travail soigné
qui passera plus d’une heure à débarrasser méticuleusement mon visage de trois
semaines de pilosité pour le prix d’un demi-thé à la menthe. Je lui donnerai
volontiers plus mais je crois qu’il le prendrait mal…; Pensée émue aussi pour
la fantastique soupe marocaine qui a assouvi une fringale nocturne dans un
bouis-bouis graisseux. Le Hamam secret enfin, dans une ruelle sombre, que rien
n’indique sinon les explications des habitants à qui je demande mon chemin
plusieurs fois avant de le trouver.
Thao et Ewen se plaisent beaucoup
ici, sillonnent les quais comme des fusées, à fonds sur leur vélo. Nous avons dû
en acheter un autre à Ceuta car, depuis que Ewen a abandonné la trottinette
pour s’intéresser au vélo, une guerre de tranchée sans merci s’était déclarée
entre eux. Ils ont aussi formé un gang avec la petite voisine, Sam, une
australienne de 5 ans qui voyage avec ses parents depuis autant d’années et qui
est aussi turbulente qu’eux, voire plus. C’est rassurant. Ils ne se quittent
plus et sont très affairés entre l’atelier peinture sur corps, les aventures
maritimes de leurs bateaux en plastique, la construction nautique en clipo et
la virée en bécane. A part une tourista inévitable à force de se rouler par
terre avant de sucer leur pouce, rien à signaler de fâcheux. De son côté, BY
s’est peut-etre cassée le petit orteil et moi, je traîne toujours cette envie permanente
de vomir depuis que la bombe à retardement emportée par ma douce épouse dans
ses bagages, nous a pété à la face.…. Irradié comme un rescapé provisoire d’Hiroshima,
j’ai la vague impression que celle là génère aussi des «effets secondaires
indésirables» Bon, bref, regardons
l’avenir plutôt.
A propos d’avenir, si les
Canaries ne m’excitent pas plus que cela, les échanges entre marins qui
s’intensifient à chaque escale, focalisent plutôt mon attention sur le Sénégal
/ Gambie et au-delà encore, sur les îles Bijagos, un peu plus au sud, devant la
Guinée Bissau. Là-bas, il n’y a franchement plus personne et ça devient
vraiment l’aventure à seulement 200 milles de Dakar; peu de documentation
vraiment précise et fiable, des conditions de navigation pas simples, rien ni
personne en cas de pépin bateau ou santé majeur. J’ai commandé le peu qui
existe. Le hasard des rencontres au cours de cette longue descente m’en apprendra
plus.