« Face à un risque sanitaire, infomer c’est contribuer à diminuer le risque de pandémie»

Publié le 01 octobre 2009 par Cahier

Alors que la grippe A entre dans son 5e mois en France, Arnaud Dupui-Castères, Président de Vae Solis Corporate, revient pour Délits d’Opinion sur la communication qui est faite autour de cette menace sanitaire mais également sur les mécanismes à adopter par les entreprises et les institutions en cas de pandémie.

Délits d’Opinion : En juillet 2009, 35% des Français se déclaraient inquiets face à la grippe H1N1. Au mois de septembre, ils ne sont plus que 32%. Comment expliquer cette stabilité alors que le nombre de cas ne cesse d’augmenter et que des premiers cas mortels sont révélés chaque jour?

Arnaud Dupui-Castères : Après quatre mois d’alerte et dans l’état actuel du virus, les nombreux cas révélés n’ont semble-t-il pas renforcé l’inquiétude de la population ; elle a même légèrement décrue.  Ces chiffres indiquent que la grande majorité des Français ont la perception que ce virus ne comporte pas un risque majeur pour eux et leurs proches.

Enfin,  précisons que la perception du danger se fonde beaucoup sur la réalité de la létalité du virus par les Français. Or, pour l’instant, les Français ont raison de ne pas s’inquiéter. La confusion des chiffres entre ceux de l’INPES et ceux du réseau « SENTINELLES » diffèrent sensiblement ce qui ne peut que créer un trouble de perception.

Ainsi, aux yeux des Français, la grippe H1N1 se résume à une grosse grippe, très présente pour le mois de septembre, qui touche de nombreux proches mais qui bien souvent s’avère sans grande gravité.

 » L’inquiétude est inversement corrélée au degré de connaissance» 

En réalité, l’inquiétude mesurée par les instituts de sondages est bien souvent inversement proportionnelle avec le degré de connaissance que la population possède d’une menace ou d’un risque. Ainsi, on observe un niveau d’inquiétude très important pour les risques éloignés, inconnus, nouveaux et étrangers. L’exemple du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère qui a connu une épidémie mondiale en 2003) confirme cette analyse car cette menace sanitaire, en réalité pas très menaçante pour les Français, a conduit à une diminution sensible de la fréquentation des transports en commun alors que l’épicentre de l’épidémie se trouvait à plus de 12 000km de nos frontières.

Le  cas du Chikungunya est lui aussi symbolique de ce paradoxe car il a démontré qu’un virus encore une fois très lointain était capable de frapper fortement l’imaginaire de la population française et de susciter une certaine angoisse parmi les Français.

Ainsi un virus a toutes les chances de ne pas fragiliser un pays si la connaissance et l’information sont importantes et suffisamment diffusées et si bien sûr les Français perçoivent qu’il n’est pas dangereux. On peut donc logiquement prévoir que dans l’état actuel des choses, le niveau d’inquiétude des Français va continuer sa décroissance.

Délits d’Opinion : Dans une crise du type de la grippe H1N1, quels sont les outils disponibles et comment les utilise-t-on afin d’alerter l’opinion sans l’effrayer ?

Arnaud Dupui-Castères : En France, le choix d’informer pour avertir la population et se protéger a été fait par les autorités publiques dès 2004 avec la grippe aviaire. Cette stratégie d’information et de mobilisation est la résultante des drames sanitaires qu’ont été l’affaire du sang contaminé et de la canicule. Ces épisodes sanitaires où le manque d’information a causé d’importants dommages ont traumatisé la classe politique dans son ensemble si bien qu’aujourd’hui le credo des gouvernements est devenu celui de l’information, parfois à outrance.

Les crises passées ont démontré que l’absence de réaction et d’information faisait peser le risque de voir émerger une crise médiatique et politique forte ; une éventualité que les gouvernements veulent éviter à tout prix car les conséquences peuvent s’avérer dévastatrices pour les responsables politiques en charge.

Concernant les outils et les méthodes d’information, le premier élément à aborder c’est le niveau d’information. Il doit être très élevé afin de contribuer à la diffusion d’une connaissance précise de la gravité de la menace, ce qui peut dés lors permettre de couper court aux rumeurs et aux fausses informations. On peut également ajouter que la transparence est souhaitable même en cas d’ignorance. En effet, ne pas émettre d ‘avis c’est déjà prendre position.  En bref, la transparence permettra à l’opinion publique de soutenir les pouvoirs publics et de ne pas fragiliser l’équilibre social du pays.

Dans le cas précis des crises sanitaires, l’action des pouvoirs publics doit viser à mobiliser les populations pour qu’elles adoptent des réflexes qui feront diminuer le risque. En effet, lorsque le sentiment d’information est élevé, la population va mécaniquement diminuer le risque en ayant un comportement plus responsable et moins sujet aux risques. En d’autres termes, l’information contribuera à renforcer les bases d’une culture du risque, diminuant ainsi les comportements inappropriés dans le cadre d‘une menace sanitaire.

C’est tout le paradoxe de la communication de crise des gouvernements car s’ils font beaucoup et qu’il ne se passe pas grand-chose, on leur reprochera d’avoir créé artificiellement le sentiment d’inquiétude. Or, c’est peut-être en raison de leur mobilisation et de l’information diffusée qu’il ne s’est justement rien passé.

 

Délits d’Opinion : Les crises sanitaires passées et en particulier la préparation de la grippe aviaire depuis trois ans s’est-elle à ce titre avérée riche en enseignements pour gérer la crise actuelle de la meilleure manière ?

Arnaud Dupui-Castères : Les crises passées ont tout d’abord permis une prise de conscience des risques possibles et ces situations sanitaires particulières ont renforcé la préparation de tous les acteurs, institutionnels, entreprises ou particuliers. Aujourd’hui on fait sans doute mieux face aux menaces sanitaires parce qu’on a pu apprendre, analyser et tirer des enseignements des épisodes passés.

La raison majeure qui explique notre meilleure réaction face à ce genre de crise c’est la préparation. En effet, l’existence de cas avérés a permis aux autorités sanitaires de réfléchir à des mécanismes et des process de réaction alors même qu’il n’existait pas de menaces réelles. Ces préparatifs et la connaissance des dispositifs à mettre en place sont partagés aujourd’hui relativement facilement parce que ces outils ont été pensés et préparés à froid, dans une période où les forces vives pouvaient être mobilisées sur ces questions.

Délits d’Opinion : Les entreprises constituent un des relais d’information privilégiés pour les pouvoirs publics. Elles sont également des lieux de diffusion du virus. Aujourd’hui les dirigeants d’entreprises sont-ils conscients du rôle qu’ils ont à jouer dans cette crise ?

Arnaud Dupui-Castères : Globalement le monde de l’entreprise a compris le rôle qu’il devait jouer pendant cette crise sanitaire. Plus que la population, les entreprises et leurs dirigeants ont acquis des réflexes et ont su mettre en place des procédés réactifs en cas d’alerte.  On peut d’ailleurs souligner que les grands groupes internationaux font à ce titre meilleure figure que les plus petites structures. En effet, leur présence sur tous les continents a renforcé leur exposition aux menaces et donc amélioré logiquement les mécanismes de défense et de protection en place.

Si les grandes sociétés possèdent une logistique et les moyens humains suffisants pour veiller à la préparation sur le long terme des dispositifs d’alertes, les petites TPE recourent le plus souvent à la « débrouille ». Parce qu’elles n’ont pas les mêmes contraintes organisationnelles, ces petites entreprises peuvent faire face et mettre en place un mode de fonctionnement alternatif très rapidement ; une chose qu’elles ont l’habitude de faire chaque jour.

 » L’absence de préparation fait craindre un risque organisationnel et économique» 

Le vrai problème se pose pour les entreprises entre 500 et 2000 salariés car l’absence de préparation fait craindre une désorganisation importante voire ingérable si une pandémie survenait. Pourtant, ce sont des entreprises qui ont un rôle central à jouer car elles constituent le cœur de l’activité du pays.

Concernant ces entreprises, le risque sanitaire n’est donc souvent pas pris en compte, ni au niveau organisationnel, ni même économique. Ce manque d’anticipation face aux risques peut leur causer des dégâts très importants. En refusant de se projeter et d’imaginer quels pourraient être les scénarii possibles par exemple en cas de pandémie, elles font courir un risque important à leur équilibre économique et à leurs salariés. Ces entreprises vont alors devoir improviser à chaud, rendant chaque décision encore plus lourde de conséquence.